Lopinons encore, lopinons ensemble !
Marie Joqueviel-Bourjea (Université Paul-Valéry Montpellier 3)
Lopinons encore, lopinons ensemble !
(en dialogue avec le texte de Jean-Marc Quaranta, « Penser la recherche en création littéraire » ;
concernant le titre, se reporter à ma contribution précédente !)
Je redirai tout d’abord (je l’avais dit une première fois en avril 2014, lors du colloque organisé par l’université d’Aix-Marseille qui fêtait les 20 ans de son DU, puis en février dernier lors de notre premier « atelier de recherche » à Marseille) à quel point je suis heureuse que nous nous retrouvions – universitaires, écrivains, artistes, traducteurs, éditeurs…, bref, tous autant que nous sommes diversement passeurs et créateurs d’art et de langue –, de plus en plus régulièrement et avec une visibilité institutionnelle accrue, pour débattre de création et de recherche, et par là même interroger, aux côtés des étudiants, nos pratiques d’écriture au sein des établissements d’enseignement supérieur dans lesquels nous intervenons à plus d’un titre.
Heureuse, parce qu’il me semble qu’une communauté voit le jour qui se reconnaît et s’organise (JM remarque à juste titre que notre premier atelier de recherche a révélé, en dépit de nos différences, « une profonde solidarité »), en se donnant les moyens de réfléchir à ce qu’elle porte et à ce qui la porte. Communauté simultanément hétérogène et cohérente, issue d’horizons géographiques, professionnels, institutionnels et artistiques divers, mais – il me semble – habitée par de semblables utopies [la dimension utopique de l’atelier d’écriture étant à mes yeux essentielle, qu’il faudrait interroger à différents niveaux]. C’est peut-être ce type de communauté tout sauf désœuvrée qui est susceptible de relayer autrement une institution littéraire dont, Jean-Marc le remarque à la suite de Dominique Maingueneau (Contre Saint-Proust, la fin de la littérature, 2006), « on a le sentiment de vivre la fin » – les ambitions d’une telle communauté se révélant (de mon point de vue) simultanément artistiques et théoriques, sociales et politiques, pratiques et existentielles. Elles débordent en ce sens très largement le cadre universitaire, auquel [c’est l’une de mes utopies] elles ré-apprennent en bien des façons le monde.
Heureuse parce qu’il était temps : temps de réfléchir à des pratiques déjà anciennes, à des traversées accumulées, des expériences de qualité qui ne demandent qu’à être pensées, poursuivies, prolongées, relayées, voire – dans une certaine mesure – théorisées ; et temps d’y réfléchir ensemble, dans le décloisonnement de pratiques souvent isolées au sein de l’institution, institution avec laquelle elles se trouvent fréquemment en porte-à-faux [c’est du reste une de mes questions : faut-il chercher à tout prix à éradiquer le porte-à-faux, en institutionnalisant (je risque le néologisme : en ‘’maquettisant’’) nos pratiques au risque de les scléroser, et surtout d’en pervertir l’esprit ; ou au contraire se maintenir dans la marge – au sens où l’on maintiendrait la marge comme l’on maintient un cap, de façon à se garder, précisément, une marge de manœuvre… ? L’équilibre est évidemment à trouver entre les deux : la reconnaissance institutionnelle et la liberté laissée à l’espace de création.]
– Je répondrai à la première question posée par Jean-Marc et Marie-Laure en vue de cet échange, « Qui sommes-nous ? », par le détour du « nous » (question que je détourne ainsi en : qui est « nous » ?) – pour avoir déjà doublement répondu au « qui suis-je ? » dans les actes du colloque d’Aix publiés en ligne : http://duecriture.canalblog.com/archives/2014/07/15/30249073.html, puis, d’un autre bord de l’écriture, sur le blog qui a accompagné notre premier atelier de recherche : http://atelierrecherche.canalblog.com/archives/2015/02/27/31612249.html.
Le « nous » me retient en effet, en tant qu’il accueille le « je » au sein du collectif, c’est-à-dire en tant qu’il ne dissout pas la singularité mais la démultiplie et l’accompagne. C’est pourquoi j’aime assez les « familles » proposées par JM, le jeu des 7 dont on sent qu’elles débordent leur chiffre, sur lesquelles on pourrait chipoter à l’infini mais là n’est pas l’essentiel. L’essentiel ? Le collectif, son idée. Non des individus isolés mais des familles, engendrant lignées légitimes ou bâtardes, familles que l’on ne saurait haïr puisque nous les avons choisies (ou l’inverse : ce sont elles qui nous nous ont élus), familles éclatées, recomposées, rhizomées – en un mot : vivantes. Familles que l’on se sent en droit de quitter pour aller voir ailleurs. Familles dont on porte, au moins momentanément, le nom, auxquelles l’on sait cependant ne pas devoir appartenir…
La « mienne » famille, justement, telle que décrite par JM, je m’y reconnais en partie (ce qui est le propre de tout rapport familial : oui, mais…). Néanmoins, ce qui me paraît insuffisamment souligné dans sa description, c’est le fait que je ne suis pas seule. En l’occurrence, le DU de Montpellier (dont je suis, certes, la responsable pédagogique et la seule personne qui le porte au sein de l’institution) est pensé par un collectif de personnalités différentes, elles-mêmes issues d’espaces distincts : ainsi, sur les cinq personnes qui composent le comité de pilotage, suis-je la seule universitaire… Deux sont écrivains, une est formatrice en travail social, et la quatrième directrice d’une association issue d’un mouvement d’éducation populaire, La Boutique d’écriture (qui a été créée à l’initiative de deux écrivains, François Bon et Hervé Piékarski). Outre les membres du comité, le DU fait intervenir des écrivains et des professionnels au même titre que des universitaires de disciplines différentes. Fortement « littéraire » au sens où il cherche à pratiquer et d’un même geste à penser la littérature, il ne la réfléchit pas moins en étant mu par une ambition sociale et politique. Je suis donc un membre (un seul) d’une famille, dont j’apprécie d’autant plus la dynamique que les individus qui la composent ne sont, pour une grande majorité, pas issus du monde académique auquel j’appartiens moi-même. Je suis donc nous. À ce titre il m’est difficile de dire « je » au nom d’une « famille » qui, réciproquement, ne se reconnaîtrait pas forcément en « moi »…
Je précise aussi, tempérant en cela le constat de JM concernant la difficile insertion des ateliers d’écriture dans des formations plus académiques – constat qui se faisait le relais de mon propre pessimisme ! : je suis aujourd’hui convaincue que les lignes bougent à l’université : hier, y animer un atelier d’écriture était chose suspecte quand elle n’était pas ignorée ; aujourd’hui, on vient « nous » chercher, « nous » enseignants-chercheurs et/ou écrivains qui animons depuis des années plus ou moins en contrebande ; des « pratiques d’écriture » sont officiellement incluses dans les maquettes (c’est le cas à Montpellier pour un parcours de Licence « Métiers de la Culture et de l’Écriture » dans lequel j’interviens depuis sa création, il y a deux ans) ; certains collègues demandent à des écrivains invités dans le cadre de colloques ou de journées d’étude d’animer des ateliers d’écriture (c’est le cas à l’UM3 depuis trois ans dans le cadre d’un programme ouvert en 2012, « La littérature à l’heure du numérique », qui a initié un cycle de rencontres intitulé « L’auteur en régime numérique » – cela étant en rapport direct avec l’ouverture concomitante d’un Master « Métiers du Livre et de l’Édition »). Or, évoquer ces pratiques d’écriture qui ne relèvent pas du DU, qu’elles soient conduites par des enseignants-chercheurs ou des écrivains, c’est aussi façon d’élargir la « famille DU » à d’autres expériences, d’autres publics de l’université (auprès desquels j’interviens quant à moi depuis plus longtemps que dans le Diplôme).
Le « nous », c’est donc la communauté des acteurs (de l’éducation, de la recherche, de l’édition, de l’art, de la culture) que nous représentons à ce colloque, communauté mouvante en laquelle je me reconnais parce qu’elle articule de multiples façons deux attachements essentiels qui informent ma propre existence : la recherche et la création littéraire. Puisqu’il s’agit de réagir au texte de JM, je me permets de « nous » prendre en exemple : ses recherches portent sur Proust, sur la génétique des textes ; les miennes s’intéressent essentiellement à la création contemporaine, plus particulièrement à la poésie. Or ce que l’un et l’autre nous initions dans nos pratiques d’écriture à l’université est nécessairement redevable (au moins en partie) de nos travaux de recherche, de la façon dont ils reçoivent et pensent la création, la littérature. Ainsi ces pratiques d’écriture nous permettent-elles de croiser, comme de biais mais de façon peut-être plus profonde, plus active que ne le ferait une communication à un colloque de spécialistes, les enjeux mêmes de nos recherches respectives. Aussi un spécialiste de Proust et une spécialiste de poésie contemporaine sont-ils conduits à se rencontrer dans la réflexion que mettent en œuvre les pratiques d’écriture qu’ils conduisent chacun à sa façon, chacun dans des contextes différents – alors même que les circuits traditionnels de la recherche institutionnelle ne les auraient pas forcément fait se croiser.
– De quoi parlons-nous ? (c’est la deuxième question posée par JM et ML)
D’une chose mouvante, difficile à appréhender car elle articule des pratiques d’écriture créative à la recherche, et ce de multiples façons. En ce sens, il importe de souligner – quoique ce soit une évidence – que le dispositif « atelier d’écriture » n’est pas le seul espace où se rencontrent à l’université création littéraire et recherche : nous concerne tout autant (une partie des réflexions conduites dans le cadre du colloque en témoignent : celles de Marie-Laure et Jean-Marc, notamment) la possible articulation entre les travaux de recherche de type académique et l’écriture dite de « création » (mémoire de master et doctorat pour les étudiants ; HDR ou tout autre travail critique pour les enseignants-chercheurs) : je souscris en ce sens pleinement aux propos de Violaine (Houdart-Mérot) qui réagissent au texte de JM : « [N]ous refusons les clivages habituels entre écriture créative et professionnelle. Mon souhait est aussi de réhabiliter le genre de l’essai et d’aller contre les oppositions ou clivages entre écriture créative et écriture ‘’académique’’ ». Je constate pour ma part que les étudiants et les enseignants-chercheurs attendent une reconnaissance de l’écriture « créative » au sein de leurs travaux de recherche : des étudiants me demandent chaque année s’ils peuvent intégrer une dimension créative à leur mémoire, voire même proposent un travail de création en lieu et place du mémoire traditionnel ; nombreux sont par ailleurs les enseignants-chercheurs qui revendiquent le droit à ce que des écritures non « académiques », « de création », puissent être reconnues au titre de leur production universitaire ; sans compter les collègues qui attendent la retraite pour se lancer sans plus de retenue dans une écriture de création / ou qui tout simplement s’autorisent enfin à penser leur écriture critique comme une écriture créative…
Pour clarifier les choses concernant notre projet, il me semble que l’on pourrait balayer le spectre des objets qui nous retiennent en fonction des acteurs engagés dans l’aventure (ces catégories n’étant évidemment pas étanches) : les enseignants-chercheurs ; les étudiants ; les écrivains et artistes invités dans un cadre ponctuel ou pérenne. Où et comment se nouent recherche et création pour un étudiant ; pour un enseignant-chercheur ; pour un intervenant extérieur à l’université ? En quoi une écriture de création participe-t-elle de la recherche et participe-t-elle à la recherche ? En quoi la recherche est-elle création ? Mais encore : quels sont les enjeux (individuels et collectifs ; personnels et institutionnels ; concrets et symboliques) d’un tel nouage ?
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Jean-Marc Quaranta : Penser la recherche en création littéraire
Penser la recherche en création littéraire
Atelier de recherche
(Université d’Aix-Marseille 5 et 6 février 2015)
Les pratiques d’écriture créative à l’université, dont le réseau animé par l’université de Cergy-Pontoise et cette lettre sont des relais, passent aussi par la recherche.
A la suite du colloque d’Aix-Marseille qui, en avril 2014, célébrait les vingt ans du Diplôme Universitaire de Formateur en atelier d’écriture, il a paru évident de proposer à ceux que la question de l’écriture de création intéresse de se réunir dans un atelier de recherche. Cette formule, lancée par l’UFR ALLSH d’Aix, a pour but de réunir quelques enseignants chercheurs pour faire le point sur la recherche dans une discipline donnée et envisager des projets collectifs[1].
Dans le cas de la création littéraire, il s’agissait de poser la question même de la recherche dans ce domaine et de faire un premier état des lieux des pistes de recherche. Au moment où les diplômes de master en écriture se développent (Paris 8, Le Havre, Toulouse, Cergy) il fallait envisager les rapports entre création et recherche en littérature et redéfinir la place de l’atelier d’écriture comme dispositif et comme objet de recherche.
L’atelier de recherche a été préparé à partir du mois de novembre 2014 grâce au blog: http://atelierrecherche.canalblog.com/. Chaque participant était appelé à déposer une brève contribution accompagnées de commentaires. Une proposition d’hétérautoportrait d'animateur-chercheur-écrivain-enseignant a également été postée sur le blog pour favoriser une présentation des participants sous forme de création littéraire, puisque c'est là une des spécificités du métier d'animateur universitaire : il produit des écrits académiques et des écrits littéraires : http://atelierrecherche.canalblog.com/archives/2015/02/03/31456740.html. Enfin, un questionnaire détaillé et structuré (24 items) permettait à chacun de préparer et de mettre en ligne sa présentation : http://atelierrecherche.canalblog.com/archives/2015/01/30/31431331.html.
Le blog a permis de gagner du temps dans les phases de présentation et de problématisation et a contribué à former un groupe, matérialisant en amont ce format spécifique de rencontre entre chercheurs qu'est l’atelier de recherche qui n’est ni un colloque ni une journée d’études, mais plutôt un moment de rencontre et d’échanges.
Ces deux journées on fait apparaître des différences dans la manière d’envisager les rapports que la création littéraire peut entretenir avec la recherche. Il m’a semblé y distinguer deux grandes zones et sept familles, que je présenterai telles que je les ai perçues au cours des échanges et à partir des contributions. Je proposerai ensuite quelques éléments de problématisation épistémologique de cette situation avant de résumer les pistes d’une recherche en création littéraire qui sont apparues et qui pourront structurer un dépôt de projet présenté à l’Agence Nationale de la Rechercheque l’université d’Aix-Marseille souhaite porter en rassemblant les acteurs de la création littéraire.
Une frontière et sept familles
La première journée a été consacrée à la présentation des différents participants et à des discussions autour des pratiques, contenus des enseignements, évaluation, objectifs et apports de la recherche. Des lignes de force et de partage sont apparues, elles séparent ceux qui, conformément au modèle américain et canadien, pensent que la création littéraire n’a pas à s’envisager selon les principes de la recherche et ceux – c’est le modèle français – pour qui la création littéraire doit faire l’objet d’une recherche spécifique et intégrer l’apport des autres disciplines : études littéraires, linguistique et même recherches en ergonomie de la créativité et psychologie cognitive, autant qu’en psychanalyse, domaine plus fréquemment relié à la création littéraire.
A regarder d’un peu plus près, on peut constituer un jeu des sept familles de la recherche en création littéraire, un peu comme si l’introduction de la notion de recherche opérait à la manière d’un réactif dans notre champ de réflexion et de pratiques. La naissance, le 6 février à 2h20, en plein atelier, de Célestin qui m’a appelé à le rejoindre à Paris, est pour beaucoup dans cette métaphore familiale et sans doute aussi la citation de Montaigne, proposée par Marie-Laure Schultze et reprise et déclinée par Marie Joqueviel-Bourjea (voir le blog) : « nous sommes tous fait de lopins ». Cette grande réunion de la grande famille de la création littéraire a révélé une profonde solidarité, une unité que permet aussi la diversité des personnalités et des histoires dont il va être question. C’est ce classement ludique, subjectif et personnel qui est proposé ici au débat et qui a surtout pour utilité de dessiner la cartographie d’un paysage mental qui commence à se structurer. C’est pour la vertu du débat que je prends ici le risque de mécontenter tout le monde : il n’est jamais agréable de s’entendre dire comment on nous voit, de toute façon on ne se reconnait jamais, le miroir est toujours déformant, il n’y a que les autres qui sont ressemblants. C’est pourquoi cet article doit être complété par des commentaires sur le blog ou par d’autres contributions. Pour paraphraser Montaigne encore, il ne s’agit pas de peindre l’être de chacun, mais le passage !
Dans ces sept familles imaginaires, on trouve d’abord les cousins des Amériques. On sait par le travail d’Anne-Marie Petitjean[2] que la tendance aux états-Unis est de ne pas dissocier la recherche de la création et de considérer que, si recherche il y a, elle doit être incluse dans la pratique, qu’il n’est pas de meilleure théorie du roman et de l’écriture du roman que celle que porte le roman lui-même, implicitement ou explicitement. C’est une première famille et bien plus ancienne que celles de la vieille Europe.
De même, au Québec, la recherche est tenue à distance de la création littéraire, selon des modalités différentes d’une université à l’autre mais dans une approche qui consiste à ne pas séparer non plus recherche et création. Marc-André Brouillette (UQAM) a ainsi clairement expliqué que la recherche en création est une « recherche création » où la recherche aboutit à une création, dont elle ne peut être séparée et qui la justifie.
Dans le domaine français, la position de Paris 8 est très proche de celles-ci. Vincent Message a décrit un fonctionnement de master très proche de celui d’une maison d’édition et où, par conséquent, la recherche interfère peu, ou même pas du tout. On retrouve un cloisonnement qu’on peut connaître aux USA entre département de littérature et département de création littéraire. Cette situation est facilité à Paris 8 par le fait que la préparation à l’agrégation de lettres n’existe pas et que la formation est animée par trois enseignants chercheurs qui sont auteurs (Vincent Message et Olivia Rosenthal) ou éditeur (Lionel Ruffel).
La situation institutionnelle est très différente à Montpellier, même si le rapport à la recherche n’est pas très éloigné. Marie Joqueviel-Bourjea y anime le DU d’animateur d’atelier d’écriture qui relève de la formation continue et se trouve marginalisé par rapport aux autres formations littéraires plus académiques où les ateliers d’écriture peinent à trouver une place. La famille montpelliéraine partage aussi avec Paris 8 un rapport naturel avec le monde de l’édition et de l’écriture, parce que Marie Joqueviel-Bourjea est aussi poète et parce que le DU a été fondé par, ou au moins avec, François Bon. Cette place à l’écart de l’institution et cette relation avec la vie éditoriale tissent un rapport plus militant à l’écriture, plus essentialiste aussi qui s’exprime dans le billet de blog de Marie qui s’interroge sur la place de la recherche, particulièrement de la théorie, dans le champ de la création littéraire (http://atelierrecherche.canalblog.com/archives/2015/01/21/31356156.html).
Cela fait déjà quatre familles (dont deux cousines d’outre atlantique). Les trois autres se situent de l’autre côté de la ligne qui sépare recherche et création littéraire.
Carole Biseniu-Penin, de Nancy-Metz, se trouve dans une position institutionnelle proche de celle décrite pour Montpellier : des enseignements d’ateliers encore marginaux, des collègues plutôt réfractaires. Pourtant, son histoire personnelle de spécialiste de l’OULIPO la situe clairement du côté de la poïétique fondée par Valéry, de cette science du faire qui s’intéresse aux mécanismes de la création. On pourra s’interroger sur la part de recherche et de création dans les cahiers de Valéry et peut-être y voir un modèle possible pour de futurs travaux de recherche en création littéraire. Dans tous les cas, il y a dans cette tradition qui remonte à La Genèse d’un poème de Poe – ou plutôt de Poe traduit et mis en scène par Baudelaire – une invitation à penser que la création littéraire n’est pas incompatible avec l’approche du chercheur, le souci de théorisation, de distance et d’analyse.
Les deux dernières familles bénéficient d’une même bienveillance des institutions qui ont accepté de faire une place à la création littéraire. A Aix-Marseille, elle est le fruit d’une lutte longue et difficile menée d’abord par Anne Roche, dès 1968 comme on sait, puis par Nicole Voltz et l’équipe du DU Formateur en ateliers d’écriture : Annick Maffre, Corine Robet, André Bellatorre. Dans cette sixième famille, la recherche universitaire a toujours marché de concert avec la création littéraire. On le voit dans les travaux d’Anne Roche et dans ceux d’André Bellatorre sur la métalepse et plus généralement sur les liens entre narratologie, rhétorique et ateliers d’écriture. Ce n’est ainsi pas par hasard si Aix-Marseille a deux doctorantes en Pratique et théorie de la création littéraire (Corine Robet et Aurore Guitry) et si on y pense la création littéraire comme un objet naturel de recherche. J’aurais tendance à rattacher à cette famille provençale cette autre famille d’Oc, celle du master des métiers de l’écriture de Toulouse Jean Jaurès. Le travail de mise en relation de la stylistique et de la génétique des textes pour servir à la formation en création littéraire me semble appartenir à la même démarche qui consiste à prendre le matériau de la recherche littéraire et à en proposer une innovation d’usage en l’appliquant à la création littéraire. Mais c’est sans doute aussi pour ne pas avoir huit familles, ce qui ne serait plus du jeu.
La septième famille, celle de l’université de Cergy-Pontoise, bénéficie d’une reconnaissance institutionnelle de la création littéraire dont elle a fait aussi un objet de recherche, comme le prouvent l’existence du réseau Pratique d’écriture créative à l’université, rattaché à un centre de recherche (le CRTF désormais AGORA), cette lettre et les colloques réguliers (2010, 2013, 2015) autour de la création littéraires. La différence avec Aix-Marseille tient à un ancrage plus fort du côté de la didactique de l’écrit que traduit notamment l’usage de la formule écriture créative.
Lisant cela, Violaine-Houdart-Mérot m’adresse la remarque suivante que je colle ici, comme un premier commentaire et comme une précision indispensable, comme un lopin qui vient enrichir le mien d’une connaissance intime de ce qu’est la famille de Cergy. On peut même imaginer que ce texte viendra s’enrichir d'autres lopins correctifs, plus que de "commentaires" :
« Certes, la réflexion didactique n’est pas absente de l’ouvrage issu du colloque de 2011 sur les Pratiques d’écriture littéraire à l’université, ni du travail de thèse d’Anne-Marie qui recense précisément tous les enjeux de l’introduction des ateliers d’écriture dans les universités françaises (dont bien entendu les enjeux didactiques), et les compare aux universités américaines et québécoises.
Pour autant, dans le DU que nous avons conçu ensemble et dans le parcours de master qui va lui succéder dans la même optique, la dimension didactique est fort peu présente: ce DU a bien d’autres caractéristiques, et notamment le fait de vouloir s’adresser non pas seulement à de futurs écrivains ou des animateurs d’ateliers d’écriture mais à bien d’autres métiers pour lesquels l’écriture est importante et précisément nous refusons les clivages habituels entre écriture créative et professionnelle. Mon souhait est aussi de réhabiliter le genre de l’essai et d’aller contre les oppositions ou clivages entre écriture créative et écriture « académique ». Le futur parcours de master s’intitule d’ailleurs «Métiers de l’écriture et de la création littéraire et recherche en création littéraire ».
Le terme d’écriture créative dans notre DU est une référence aux creative writing américains et n’a rien à voir avec un « ancrage didactique ».
Je pense que l’une des originalités de notre DU par rapport aux autres formations (mais à mon avis, nous sommes très proches de vous, et par certains aspects de Paris 8, et par d’autres du Havre) est le fait de vouloir nous ouvrir aux métiers de la rédaction autres que le métier d’écrivain (avec l’expérience menée par Anne-Marie avec Loréal par exemple). Mais notre autre spécificité est la présence d’écrivains et de master class au sein de notre formation, et enfin le fait de travailler en liaison avec l’Ecole d’arts de Cergy (je suis en train d'élaborer une convention avec eux, et il y a eu déjà des échanges entre les étudiants du DU et de l’Ecole d’arts) »
Question de vocabulaire : un peu de discipline(s)
Avec la légitimité institutionnelle, la place de la théorie et de la recherche, la question de la terminologie a aussi fait l’objet de débats au cours des deux journées. La locution création littéraire fait davantage consensus qu’écriture créative. Elle désigne une pratique (la création) et un domaine (la littérature)… ce qui n’est pas sans poser de problème, à un moment où l’institution littéraire apparaît comme un fait daté dont on connaît le début (la fin du XVIIIe siècle) et dont on a le sentiment de vivre la fin – dont l’émergence de cette création littéraire dans les études de lettres est peut-être un signe[3]. La formule création en écriture ne dit rien à personne mais désigne pourtant la pratique elle-même (l’écriture) comme objet, ce qui a le mérite de poser clairement une praxis et d’éviter la question encombrante du littéraire. A ce compte-là, le mot écriture ferait aussi bien l’affaire, n’était la polysémie et le vague d’une trop grande généralité.
En définitive la question de la terminologie ressemble, pour la création littéraire, aux débats que connaissent les disciplines artistiques, avec des glissements et des ruptures (peinture, sculpture, photographie ; arts graphiques, arts plastiques, arts visuels). Elle est aussi un premier point de réflexion, de théorisation et donc, de fait, de recherche, tout le monde s’accorde pour dire qu’il ne serait pas mauvais de savoir comment désigner ce que nous faisons quand nous travaillons sur et avec l’écriture.
Dans cette quête d’un nom et d’une identité, une piste possible serait de demander à ceux dont l’objet de recherche est précisément la création ou le langage de nous dire ce que nous faisons, ce que nous sommes. Il existe à Aix-Marseille un laboratoire (PSYClé) où Nathalie Bonnardel mène des recherches sur l’ergonomie de la créativité, un travail interdisciplinaire dans ce domaine permettrait de dépasser les contradictions sur une éventuelle recherche en création littéraire : on peut refuser de prendre l’objet de notre pratique comme sujet de recherche, mais on ne peut empêcher ceux qui travaillent sur la création en général de s’intéresser à la création littéraire en particulier. On peut faire la même chose du côté de la cognition linguistique et proposer au laboratoire Parole et langage (Aix-Marseille) d’étudier si les mécanismes en jeu sont différents dans la production linguistique quand elle est création et quand elle ne l’est pas, ou ne sait pas qu’elle l’est.
Comme au jeu des sept familles, ce serait une manière de piocher – ou de faire piocher les autres – pour trouver nos trésors. C’est aussi expérimenter les vertus de l’interdisciplinarité ou même de la transdisciplinarité telle que la théorise Bassarb Nicolescu quand il observe que changer de discipline permet de dépasser les contradictions du champ disciplinaire[4]. De même, la création littéraire pourrait devenir un champ de rencontre entre deux approches qui restent antagonistes – parfois violemment – dans leur champ disciplinaire : la psychologie cognitive et la psychanalyse qui peuvent se saisir de ce même objet. Il n’y a peut-être pas de recherche en création littéraire mais on voit déjà quelques belles perspectives et qui dépassent notre domaine.
Problématisation : autonomie et hétéronomie de l’art
Reste à essayer de comprendre ce qui fait obstacle à une recherche en création littéraire, au moment même où l’arrivée de la création littéraire aux niveaux master et doctorat rend possible, et peut-être nécessaire, une telle recherche. Au moment où, aussi, les écoles d’arts qui ont rejoint le système Licence Master Doctorat sont en quête dans ce domaine et nous accompagnent dans la mise en place des diplômes en création littéraire.
Pour comprendre la réticence – résistance ? – à faire de la création littéraire un objet de recherche, il faut peut-être remonter un peu plus d’un siècle en arrière, au moment où s’opère le phénomène d’autonomisation de l’art à l’égard de la pensée rationnelle et philosophique et où se manifeste son hétéronomie[5]. Après avoir été pensé par les philosophes depuis Platon, l’art affirme à ce moment de l’histoire des idées son hétéronomie. Un texte fameux, Contre Sainte-Beuve, en est une illustration. Proust y entreprend de montrer « ce qu’il y a de réel et d’indépendant de toute science dans l’art[6] » et que Sainte-Beuve, comme Taine, n’a pas compris. Autant que la mondanité littéraire, autant que l’illusion que l’homme résume l’œuvre, c’est ce que dénonce Proust dans ce texte qui est aussi le tremplin d’écriture de ce qui sera À la recherche du temps perdu. Il en fait d’ailleurs l’expérience, remplaçant le modèle philosophique de Schopenhauer, par le modèle littéraire nervalien[7].
L’inquiétude peut être légitime de voir la pensée rationnelle, que les artistes ont chassés de la cité de l’art par la porte, y revenir par la fenêtre de la recherche en création littéraire. C’est tout de même oublier que cette recherche en création littéraire ne serait pas une théorie qui surplombe son objet, mais une prise de distance réflexive issue d’une praxis. Le même Proust disait du pastiche qu’il est « une critique littéraire en action », ce qui ne l’empêchait d’écrire un article de critique « à propos du style de Flaubert » et de proposer une réelle esthétique de l’écriture, de la création littéraire, dans les dernières pages du Temps retrouvé. Après Valéry et la poïétique, voici un deuxième modèle possible pour une recherche en création littéraire... modèle que la recherche pourrait explorer. Elle y trouverait des possibilités, des formes pour une recherche fondée sur une praxis.
On y verrait sans doute aussi que les temps ont changé et que les ateliers comme la génétique des textes, ou la stylistique telle que l’envisage Philippe Jousset, la lecture comme la considère Marielle Macé[8] changent notre rapport au fait littéraire et accordent une place centrale à la praxis.
La France a un siècle de retard dans le domaine de l’enseignement de la création littéraire. On y a consacré ce temps à théoriser la littérature, l’écriture c’est cet apport qu’une recherche en création littéraire peut mettre au service de l’enseignement de ce bien partagé qu’est l’écriture.
Le projet présenté à l’ANR pourrait porter sur laréalisation d'un Dictionnaire francophone et européen, historique, critique et prospectif de la création en écriture, dictionnaire papier, si on le souhaite, mais aussi évolutif et en ligne, complété par une banque de données de pratiques et d’expériences.
Le projet couvrirait un champ qui va de l’accès à l’écriture sous sa forme de création à l’étude des mécanismes de créativité linguistique d’un point de vue ergonomique et cognitif, il pourrait se décomposer ainsi
▪ Axe 1 – Épistémologie, Terminologie : baliser le champ théorique, distinguer les ateliers d’écriture (dispositifs, déblocage, venue à l’écriture) de l’écriture créative (dans des champs plus thérapeutiques) de la création littéraire, ou de l’écriture artistique (former des écrivains, des éditeurs). Fabrique de la littérature contemporaine : Auteurs, étudiants-écrivains, formation, débouchés pour cette recherche en création littéraire.
▪ Axe 2 – Création et institutions : place de la création dans l’institution, reconnaissance de la création par l’institution, la création littéraire comme lieu de connaissance (la création artistique, la fiction sont des lieux de savoir) ; évolution actuelle des paradigmes parce que change le regard sur la littérature. Travail d’anticipation de ce que seront les études de lettres dans dix ans.
▪ Axe 3 : approche ergonomique et cognitive des mécanismes de création littéraire. Cette approche aide à définir le champ spécifique de la création littéraire par les regards croisés de deux disciplines l’ergonomie de la créativité (pour ce qui relève de la création) la cognition du langage, pour ce qui relève du littéraire.
Jean-Marc Quaranta
Aix-Marseille - CIELAM
[1] Cet atelier a réuni, pour Aix-Marseille : Marie-Laure Schultze co-porteuse du projet avec Jean-Marc Quaranta, Sara Greaves, Corine Robet, Stéphane Nowak ; Isabelle Serça de Toulouse Jean-Jaurès, Marie Joqueviel Bourjea de Montpellier III, Carole Bisenius-Penin de Nancy-Metz, Vincent Message de Paris 8
Anne Paupe de Paris 13, Anne-Marie Petitjean de Rouen /Cergy-Pontoise, Marc-André Brouillette de l’UQUAM et Natalia Hristova de St. Climent Ohridski, Sofia.
[2] « La Littérature sur le métier. Étude comparée des pratiques créatives d’écriture littéraire dans les universités, en France, aux États-Unis et au Québec », 2013, sous la direction de Violaine Houdart-Merot.
[3] Voir Dominique Maingueneau, Contre Saint-Proust, la fin de la Littérature, Belin, 2006, p. 169-170, qui parle de « généralisation de l’activité d’écriture » et de « laïcisation de la création ».
[4] Bassarab Nicolescu, Qu'est-ce que la réalité ?, Liber, Montréal, 2009 ; La Transdisciplinarité, manifeste, Le Rocher, collection Transdisciplinarité, Monaco, 1996.
[5] Marc Jimenez, Qu’est-ce que l’esthétique ?, Gallimard, collection Folio essais, 1997, pp. 209-210.
[6] Marcel Proust, Contre Sainte-Beuve, édition de Bernard de Fallois, Gallimard [1954] collection Folio essais, p. 124.
[7] Jean-Marc Quaranta, Le Génie de Proust, Champion, collection Recherches proustiennes, 2011.
[8] Philippe Jousset, Anthropologie du style. Propositions, Presses universitaires de Bordeaux - Pessac, 2008. Marielle Macé, Façons de lire, manières d’être, Paris, Gallimard, collection NRF Essais, 2011.
Marie Oqueviel-Bourjea, "Nous sommes tous faits de lopins"
En toile de fond…
Toutes les questions posées par Marie-Laure et Jean-Marc dans le document destiné à préparer notre rencontre, qui visent à cerner ce qui, pour chacun de nous, enseignants-chercheurs-animateurs, mais aussi, pour certains (en sus), formateurs et (ou) écrivains, se joue non seulement dans les ateliers d’écriture que nous conduisons à l’université, mais encore autour comme à partir d’eux, sont plus que pertinentes : elles sont nécessaires pour penser ensemble ce que nous bricolons (parfois savamment) et trafiquons (parfois en douce) chacun dans nos coins (parce que nous en avons plusieurs, Marie-Laure l’a souligné avec Montaigne – et la chose est capitale bien qu’épuisante : précisément que nous soyons des hydres à trois, quatre ou cinq têtes).
Je choisis, par nécessité, la forme de l’hétérauportrait (quoique lui-même hétérodoxe, par goût peut-être protestant de la résistance !) : la « famine temporelle »[1] que connaît l’enseignante-chercheuse que je suis est telle que je ne saurais utiliser les quatre jours qui précèdent notre rencontre à répondre consciencieusement par écrit à toutes ces questions. Du reste, quatre jours pleins ne suffiraient pas à la chose ! Je le ferai néanmoins brièvement à l’oral a posteriori : me (nous) situer étant en effet – je crois – la première chose à faire. Je ne m’y déroberai donc pas.
Rousseau qui, lui, cultivant sa nudité, ne craignait pas les bains de minuit dans le Vieux Port[2], disait perfidement de Montaigne qu’il « se pei[gnait] ressemblant mais de profil ». J’en ferai autant en ce qui me concerne, croyant peut-être à tort le profil plus avantageux que la face.
Portrait craché
« Nous sommes tous faits de lopins ».
Cette phrase trotte dans ma tête depuis que je l’ai lue. Cette affaire de « lopins » me séduit et m’arrête en même temps, comme le lapin (que je ne peux m’empêcher d’y entendre) à l’arrêt au milieu des vignes (mes lapins à moi étant méditerranéens). Il a entendu un bruit étrange, perçu un remuement anormal, alors il cesse brusquement de trotter (sur ses lopins). Des lopins-lapins trottent donc dans ma tête depuis quelques jours à cause de Marie-Laure – mais je ne lui en veux pas. Même, je lui en sais gré !
Ce dont je sais gré à Montaigne, aussi, c’est le « Nous » d’une affirmation qui pourrait, sans les « lopins », paraître péremptoire. Ce serait méconnaître Montaigne, qui n’affirme et ne généralise que pour nous rendre humblement à la terre friable dont – selon certaines sources – nous sommes faits et à laquelle nous sommes tous certains de retourner. Nous sommes terres composites, donc. Et c’est déjà un poème. Parcelles volées au voisin ou péniblement achetées, héritées, revendues, cultivées ou laissées en friche : en tout cas on se penche, puisque (là encore, je tais mes sources), il faut se baisser, et bas, pour que la terre nous rende. Quoi ? Plutôt à qui : à nous-mêmes, simplement. Nous-mêmes désormais conscients d’être des lopins.
J’écris, je vois des lapins qui connillent dans les olivettes, mais cette affaire de lopins n’est pas sérieuse : être sérieuse (ce que je suis à certains moments, souvent même, ce dont vous doutez fortement en m’écoutant), c’est aller au dictionnaire (comme l’on dit aller aux champs) et chercher « lopin » (comme l’on cherche noise). Lopin, donc : « A. – Vieux. [à part moi (didascalie) : Montaigne est-il « vieux » ?]
1. Morceau de nourriture, principalement de viande. As-tu pu, du moins, en cet habitacle de misère, les empêcher de mourir de faim et prélever sur ta maigre pitance un lopin à leur jeter ? (Gautier, Fracasse [j’aimerais bien faire précéder du « Capitaine » que je lisais enfant, il a disparu, il faudra chercher pourquoi cette absence, une autre fois], 1863). Que, dans une cuisine, un chat par fraude aggrippe [sic] quelque friand lopin de poisson ou de tripe […]. Le voilà franc coquin et digne du boulet. (Pommier [qui est-ce ? (didascalie)], dans ses Colifichets, 1860) » La chose, pour moi, se complique : emportée par les références culinaires, je lis « poulet » à la place de « boulet » (Le voilà franc coquin et digne du poulet). Sans compter que le TLFI ajoute insidieusement : « Rem. ‘’Il est populaire, et ne se dit guère qu’en plaisanterie.’’ (Ac., 1878) » Donc le lopin-morceau de viande, est non seulement « vieux », mais relève de la plaisanterie ? C’est l’Académie qui l’a dit (c’est celui qui l’a dit qui l’est). Je poursuis ma lecture, pour découvrir le deuxième sens de « Lopin, subst. masc. », toujours sous l’item « Vieux » :
« 2. P. ext. Morceau, parcelle. Je ne pense pas que, de votre côté, on insiste pour quelques lopins de montages [sic]. L’important est d’avoir une frontière stratégique. (Mérimée, Lettres Panizzi, 1866). » Cette fois-ci je lis « montagnes » sous « montages », et je pense avoir raison (c’est celui qui a recopié qui a tort, c’est bien connu). Si je suis rassurée avec ce lopin-parcelle qui, « vieux » lui aussi, pourrait être celui de Montaigne – quoique je nous suppose faits de morceaux de chair plus que de terre mais Michel Serres nous rappelle qu’Adam est le glaiseux[3], alors rien n’est moins sûr que les morceaux de viande –, je retrouve mon lapin à l’arrêt devant cette phrase qui me laisse perplexe : « L’important est d’avoir une frontière stratégique. » Ai-je une (ou des) frontière(s) stratégique(s) ? Ai-je même des frontières ? Oui, un peu, nécessairement un peu, pour le bon fonctionnement du cadastre censé gérer les lopins (soit repérer les lapins connilleurs). Donc j’ai « un peu » de frontières nécessaires. Stratégiques, je ne sais pas. Mouvantes, oui. Des frontières mouvantes qui, parce qu’elles sont frontières, matérialisent en l’autorisant le passage. Pour passer (officiellement ou en tapinois, comme mes lapins), il faut bien des lignes imaginaires que l’on trace. À quoi se repérer. Pour nous-même comme pour les autres. Je continue : « Manquait ensuite un beau lopin irrégulier de papier blanc. » (Arnoux [didascalie : je pense à Flaubert, à Frédéric Moreau, à L’Éducation sentimentale, le personnage, je veux dire le mari de Madame, serait donc auteur, aussi ? Je m’en tiens là – n’ouvrons pas la boîte de Pandore, déjà passablement cabossée par mes soins)]. Je reprends, donc : « Roi, 1956 ». Dans son Roi, Arnoux (qui aurait ainsi, vu la date, survécu à Flaubert – mais c’est le lot de tous les personnages romanesques, ça nous le savons bien), prétend que manque un « beau lopin irrégulier de papier blanc ». Un lopin est donc possiblement « beau ». Un « beau lopin », comme on dit à son boucher un « beau morceau » de viande : « – Et avec ça ? (dit le boucher) – Vous me mettrez un beau morceau de poulet/boulet (répond la cliente). » J’espère que vous me suivez dans mes courses… « Beau », donc, cela peut paraître surprenant pour un lopin, mais me convient parfaitement. On a de beaux lopins comme on a de beaux restes, après tout si les restes sont beaux c’est que les lopins l’on été. La terre est belle, je le savais, mais la chair aussi. N’en déplaise au poète qui la juge « triste » et avec lequel je me permets de n’être pas en accord sur tout. Mais je reviens à mes moutons-lapins : « Irrégulier », dit encore Arnoux : cela me semble normal pour un lopin, n’en déplaise au cadastre et surtout aux cadastreurs (ça alors, pas de surligage rouge en ligne polygonale qui m’indiquerait que le mot n’existe pas, il existe bel et bien : et hop, je surfe et rebelote le TLFI qui confirme. J’ai donc cru inventer un mot qui existait déjà et qui, miracle, signifie la même chose que ce que je voulais lui faire dire – voudrais-je faire dire comme je prétendrais faire écrire ? Mais à l’impératif fort heureusement nul n’est tenu et ne se tient, puisque les mots toujours-déjà nous débordent), cadastreurs, donc, qui préfèrent les parcelles régulières, géométriques, mesurables et se méfient des droits de passage accordés il y deux-cent soixante-trois ans au voisin (qui, on s’en doute, ne l’est plus depuis belle lurette). Ainsi, après « beau », « irrégulier » me convient tout autant. On échappe donc, avec nos fragments, et bellement, aux arpenteurs, aux géomètres, à tous ces fonctionnaires de la terre (avec ou sans majuscule) ! Arnoux, enfin, qui m’achève (mais le lapin en moi court toujours – et je ne mettrai pas au féminin pour une fois) : « un beau lopin irrégulier de papier blanc. » Je n’aurais pas rêvé mieux que ce papier, blanc de surcroît, dont le « vide » (n’en déplaise au toujours-même poète devant qui, par ailleurs je m’incline – mais par ailleurs ; pas par ici) n’est en rien défendu par sa blancheur qui, tout au contraire, fait signe au lapin bien décidé à sauter, guilleret, dans la neige (neige, oui, en Méditerranée, cela arrive, et vignes et oliviers sous la neige, c’est très beau – justement[4]). Cependant, je ne suis pas au bout de mes peines, et vous non plus : ce que nous dit Arnoux, c’est que ce beau quoique (parce que ?) irrégulier lopin de papier blanc manque. Que faïre ? (à prononcer comme il se doit, ave l’assent parce que sans accent, pas de langue). Je récapitule (du moins j’essaie) ; pour ce faire je raboute, quoiqu’avec le plus grand respect, Montaigne et Arnoux : nous sommes tous faits de lopins beaux et irréguliers de papier blanc, mais ils manquent ! L’affaire se complique diablement. Le lapin, au départ perplexe, tombe (presque) de Charybde en Scylla, ce qui pour un lapin de garenne pose de gros problèmes de transport, la mer, certes non loin de sa garrigue, ne l’inspirant pas outre mesure. Les détroits encore moins. Il n’aime guère se retrouver à l’étroit, et préfère l’inspiration hugolienne au choix cornélien. Non pas ici OU là (et encore on n’est pas sûr d’en réchapper), mais ici ET là, partout, il est partout mon lapin, y compris, surtout, où manque le papier. Nous courons tous après des ramettes. C’est la leçon que j’en tire.
Je vous épargne le « lopin [des] entrailles » de Ravaillac (1913), la tragédie de Tharaud [?], comme je vous évite ce qui relève du « fig. », à savoir le « bon lopin du budget » stendhalien de Rome, Naples et Florence (1817), ainsi que les Mémoires de Chateaubriand avec leur « lopin de population » (1848). Mais le Journal des Goncourt (1877), non, vous n’y couperez pas : « À la maison, nous trouvons Arène, un Méridional venu à la conquête d’un lopin de célébrité parisienne, un blagueur avec trop d’acent[re-sic] et trop mirlitonnant de petits vers. » Il n’y a qu’un Méridional pour s’appeler « Arène », mais je n’insisterai pas puisque nous nous préoccupons de lapins et non de taureaux. Il aurait, ce mirliton, dit Edmondéjules (façon Karlémami), « trop d’acent ». Comment peut-on avoir trop d’accent ? Pour conquérir les lopins d’une pseudo-célébrité parisienne, certes, mais pour faire des vers, certainement pas. Il suffit d’écouter Char (rien à voir avec les arènes). Et pour penser non plus, on ne saurait trop en avoir : Derrida pensait bien (c’est-à-dire tordu) parce qu’il pensait une langue accentuée (c’est ma théorie). Un chant précédait sa pensée. Donc il pensait. Je chante donc je pense.
Passons – pour, quittant le « Vieux » (pas Derrida, je ne me permettrais pas), nous tourner vers le « B. – Usuel ». Enfin !
« 1. Lopin (de terre). Morceau de terre. Cultiver son lopin. » Un lopin, donc, se cultive. « Nous sommes tous faits de lopins », j’ajoute : – que nous cultivons. Tous en même temps ou alternativement ? Ce n’est pas précisé. On peut espérer que, cultivant l’un, nous cultivions l’autre. Ce n’est pas chose aisée, de bêcher, planter, arroser, arracher les mauvaises herbes à cheval sur deux lopins, voire trois ou quatre, mais on se fait à tout et, finalement, on se prend à tourner et voilà que ça vous prend un air de danse et qu’on se prend au jeu, un lopin par-ci, un lopin par-là, et valsent barbelés, palissades et frontières ! On danse et des fleurs poussent qu’on n’avait pas espérées. On les regarde pousser avec bonheur, émotion même, parfois. Mais ce n’est pas tout : « Comme il voudrait être déjà revenu de son pays, où il ira chercher ses papiers et vendre son petit lopin de terre. (Ponson du Terrail, Rocambole, 1859) » Après ça, qu’on n’aille pas me dire que mes histoires sont rocambolesques, je me contente de lire celles des autres : s’il cherche ses papiers dans son pays, il vend son lopin. Donc à lopin perdu, papiers retrouvés. Toujours ces histoires de papier qui manquent et réapparaissent moyennant divers tours de passe-passe (cf. les ramettes d’Arnoux). Je ne m’attarde guère sur le Gaspard de Pourrat (1922) qui « bris[e] [s]es mottes au milieu d’un lopin » (autant dire qu’il brise les morceaux d’un morceau), ni même sur Mort à crédit (1936) qui ne nous apprend rien sinon qu’ajouter des lopins aux lopins finit par constituer des « espaces énormes », alors même que les terres domaniales se retrouvent, chez Colette, démembrées « lopin à lopin » (Mais, 1922). Au fond, tout ceci revient à parler morceaux.
Mais « au fig. », que lis-je ? Une vérité, que l’on doit au Huysmans d’En ménage (1881) : « On voudrait avoir son petit lopin de bonheur et en être seul propriétaire. » …Peut-être pas, finalement : ce sont davantage des lopins de bonheur que l’on voudrait avoir, et grands avec ça, que l’on partagerait volontiers avec des copropriétaires à qui ne poserait aucun problème le droit de passage consenti il y a quelque deux-cent soixante-trois ans (j’espère que vous suivez). On ferait bon ménage, partageant ses lopins dans la joie. Prenant garde, toutefois, à ne pas s’éparpiller, car – Cocteau le constate dans sa bien nommée Difficulté d’être (1947) : « Malheur à qui n’a pas gardé un lopin où vivre, une parcelle de soi en soi… » Cultivons, partageons… mais sachons préserver un lopin, au moins un ! – Oui, mais lequel ?
C’est ici que, contre toute attente, le « 2. Métallurgie » vient à mon secours. D’après son « a) » [lire « petit a » à la Lacan], un lopin est un « morceau de fer prêt à être forgé », dixit Jossier en 1881. Ainsi un métal brut mais prêt à accueillir sa forme, une forme. Somme toute, un métal consentant. Le problème, c’est qu’après avoir consenti (ce que je suis en train de faire depuis un moment, au point de m’embourber dans mes lopins glaiseux), que devient le « morceau de fer forgé, [à présent] étiré » ? Eh bien, toujours dixit Jossier la même année (celle du parfum), c’est (je vous jure, je n’invente rien) : un « lopin cinglé ». Rien à voir avec les lapins crétins. Ils ne font pas partie de mon zoo. Si je comprends bien, les lopins qui me constituent (qui nous constituent tous, je vous rappelle) peuvent être cinglés. Je le savais déjà, mais la science et la technique confirment. Avec l’aide du CNRS dont le logo figure sur le site du CNRTL (Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales), lui-même décliné en ORTOLANG : Outils et Ressources pour un Traitement Optimisé de la LANgue. Je n’en demandais pas tant). Je poursuis en « b) » (pas d’objet « petit b » chez Lacan, c’est dommage) : « Morceau de fer obtenu par la réunion de plusieurs autres morceaux soumis au travail de la forge. (Havard, tome 3, 1889) » Le lopin à conserver envers et contre tout(s), ce serait donc celui-là ! Celui qui les contient tous, qui se sait plusieurs, se reconnaît Tout-monde, et qui y travaille ! Un lopin Tout-monde, Terre-patrie, poétiquement mis en relation !
Le « 3. » cependant vient tout perturber de son « Arg. » : « Postillon, crachat ». (Fort heureusement il n’y aura pas de 4.) Pour preuve, Bruant (1901) : « Ousqu’est la liberté, si on peut pas laisser tomber un lopin en omnibus ? » On crache donc des lopins. Les bouts de nous, on les crache, et avec joie, par la fenêtre ouverte de l’omnibus, comme ça, pour rien, pour se faire plaisir, pour dire qu’on existe, qu’on em… le bourgeois qu’on est par ailleurs, qu’on est capable de produire quelque chose, même inutile, dérisoire. Un brin provocateur. Quelque chose de transparent qui n’ajoute rien au monde. La liberté, c’est ça. Cracher des lopins.
Je résume, pour ceux qui se seraient perdus sur les brisées de notre léporidé, dont les aventures rocambolesques en ont possiblement laissé plus d’en sur le carreau (Pan !) :
1. Nous sommes tous faits de lopins, que séparent des frontières mouvantes.
2. Les lopins sont beaux et irréguliers.
3. Les lopins (de terre, de chair, de papier, de bonheur…) font régulièrement défaut. Mais c’est normal, on fait avec (je veux dire sans).
4. Il faut savoir danser sur ses lopins tout en les cultivant (dans la mesure du possible simultanément).
5. Entre le lopin et le papier, c’est une affaire qui roule.
6. Un lopin, ça se partage.
7. Un vrai bon lopin, c’est un lopin qui n’est pas seul dans sa peau. C’est Michaux qui l’a dit (donc qui l’est).
8. Tous les lopins dignes de ce nom sont cinglés.
9. Le lopin se crache, et avec joie. En bref, sa vocation, c’est de retourner à la terre. Si vous avez suivi, c’est très exactement ce que nous disait Montaigne en commençant.
Morale de l’histoire : un portrait de biais est un portrait craché.
MJB, 1er février 2015
[1] L’expression est de Hartmut Rosa, dans Aliénation & accélération : vers une théorie critique de la modernité tardive [2010], Paris : La Découverte/Poche, 2012/2014.
[2] Je m’en réfère au programme concocté par Marie-Laure et Jean-Marc, pour ce qui concerne la soirée du jeudi 5 février…
[3] Dans Michel Serres, Genèse, Paris : Grasset, 1986.
[4] Addendum du mardi 3 février, lors de la relecture : Il neige !
Natalia Hristova, Pour une désinstitutionnalisation de la littérature dans l'enseignement littéraire contemporain
Pour une désinstitutionnalisation de la littérature dans l'enseignement littéraire contemporain — de l'écriture littéraire au digital storytelling
Natalia Hristova, Université de Sofia, St. Climent Ohridski”, Bulgarie
La mise en place à l'école del'écriture littéraire dans sa forme moderne (qui diffère des exercices scolaires d'imitation des modèles classiques répandus jusqu’à la fin du 19e siècle et de l'écriture libre de Freinet) apparaît et se développe comme un projet démocratique, critique et émancipateur. Lancée à partir des événements de mai 68, l'écriture littéraire à l'école vise à surmonter la domination du discours métalittéraire, du commentaire et de la dissertation dans l'enseignement littéraire en défiant les préjugés hérités sur la créativité, considérée comme un privilège du génie, du créateur exceptionnel, et d'assurer de la sorte à tous les élèves un accès à la pratique de l'écriture. La démythologisation et la désacralisation de l'activité de l'écrivain trouvent un appui dans la vision poststructuraliste de l'écriture comme une réécriture et une transformation de l'héritage littéraire. C'est la raison pour laquelle l'écriture littéraire à l'école se développe surtout comme une expérience intertextuelle, comme une pratique de lecture-écriture, comme une activité intratextuelle de réécriture du propre texte de l'écrivant. Elle compte également sur l'activation du pouvoir critique et subversif de la littérature à l'égard de l'ordre idéologique dominant. Ce pouvoir est considéré comme une condition de l'avènement de la singularité, de la hétérogénéité et de la différence du sujet écrivant. L'avènement du sujet écrivant, du sujet-scripteur, la construction de l’identité est l'autre enjeu éducatif le plus important de l'enseignement moderne de l'écriture littéraire à l'école.
Sous cette optique, l'écriture littéraire à l'école peut être conçue comme une pratique visant à déployer le plein potentiel de la littérature, considérée comme une institution - comme « une institution historique possédant ses propres conventions, ses règles, etc., mais aussi comme une institution de la fiction qui possède par principe le pouvoir de tout dire, d'abroger, de supprimer les règles et donc d'établir, d'inventer et même de soupçonner la distinction traditionnelle que l'on fait entre nature et institution, nature et droit habituel, nature et histoire » (Derrida). Car l'écriture littéraire à l'école, fondée sur l'intertextualité, sur lecture-écriture permet précisément de s'approprier l'ensemble institutionnalisé de structures, de règles et de conventions historiquement constituées et garantit de la sorte l'intégration à la culture, à la tradition, à l'ordre symbolique. Et dans la mesure où la littérature est un lieu institutionnalisé où il est en principe possible de contester l'ensemble de l'institution, l'écriture littéraire ouvre également un espace à l'invention, à la singularité, à l'idiome et en même temps retient la dynamique, la contamination, la double bind de la singularité et de la répétitivité, de l'idiome et de l'institution, du singulier et du général.
La littérature, comme le souligne Derrida, en tant qu'institution qui permet de tout dire, dans sa forme relativement moderne est indissociablement liée à l'émergence de l'idée moderne de démocratie, elle dépend de la démocratie actuelle et est inséparable de la démocratie à venir. À l'époque contemporaine se dessinent cependant des tendances qui remettent en cause à la fois le développement de l'écriture littéraire à l'école et le développement de l'institution scolaire et de la démocratie en général. Il s'agit des processus d'expansion de la logique néolibérale dans toutes les structures sociales, qui mènent à la destructuration systématique de celles-ci, à une désinstitutionnalisation, une désymbolisation et une désubjectivation (Dufour). Ces phénomènes sont le résultat de la capacité du capitalisme de se servir, de récupérer, d'utiliser à son propre profit les critiques qui lui sont proférées (Boltanski,Chiapello). C'est ce qui arrive précisément à la critique culturelle de mai 68 à laquelle peut être rattaché le projet de l'écriture littéraire à l'école. Le projet vise à étudier ces processus de désinstitutionnalisation de la littérature dans l'enseignement de l’écriture littéraire et à repenser de manière critique les mécanismes culturels, sociaux, politiques et économiques de leur émergence. Le projet explorera la tendance à formaliser et à instrumentaliser les conventions littéraires, l’influence de la littérature numérique et du digital storytelling, l’impact des outils numériques collaboratifs en ligne. Cette question demande à être posée, non plus seulement au niveau de l’enseignement secondaire mais aussi dans le cadre universitaire ou l’écriture créative, la création littéraire se développent depuis quelques années. Aix-Marseille Université, Toulouse, Le Havre, Paris 8, Cergy-Pontoise, Poitiers, Montpellier sont les universités dans lesquelles sont nés des dipômes en rapport avec la création littéraire (master d’écriture, de métiers de l’écriture, Diplômes Universitaires de formateurs en ateliers d’écriture, licence de création littéraire). Il sera intéressant de se pencher sur les dispositifs mis en place pour former à l’écriture créative dans ces formations supérieures et d’envisager comment elles intègrent ce nouveau rapport à la littérature que conditionne une approche créative du fait littéraire.
Le projet se posе les objectifs concrets suivants:
- étudier des ouvrages théoriques récents consacrés aux problèmes de la société néoliberale, des nouvelles formes de domination et à l'impact de celles-ci sur l'institution scolaire;
- étudier des ouvrages consacrés aux dynamiques et aux transformations contemporaines de l'identité, des formes de désubjectivation et de désymbolisation, des modalités de la construction contemporaine de soi, de l'autonomie, de l’identité narrative et de l’imagination narrative;
- analyser et diagnostiquer les mécanismes de désinstitutionnalisation de la littérature dans l'enseignement de l'écriture littéraire, tels qu'ils figurent dans les instructions officielles, dans les consignes et les sujets d'écriture littéraire, dans les formats d'évaluation sommative, dans les critères d'évaluation sommative en France, et ce tant dans l’enseignement secondaire que dans l’enseignement supérieur où ces cours se mettent en place ;
- étudier des textes consacrés aux dynamiques et aux transformations contemporaines de l'identité, des formes de désubjectivation et de désymbolisation, des modalités de la construction contemporaine de soi, de l'autonomie, de l’identité narrative et de l’imagination narrative;
- étudier les ouvrages théoriques et appliqués consacrés au « storytelling » et au « storytelling digital » et analyser leur potentiel éducatif déclaré ; analyser les formes et les outils de la littérature numérique contemporaine et leur influence possible sur l’écriture littéraire numérique à l’école et à l’université ;
- analyser les différents logiciels d'écriture littéraire destinés et recommandés aux fins de l'éducation et diagnostiquer la mesure dans laquelle ils se fondent sur les interactions entre écriture et lecture, sur les pratiques intertextuelles et intratextuelles, la mesure dans laquelle ils contribuent à l'avènement du sujet écrivant ;
- analyser les outils d’écriture en ligne et le rôle de l’écriture collaborative en ligne dans les dispositifs de formation en écriture créative et création littéraire.
Le projet se situe à la croisée des domaines scientifiques de la théorie de la littérature, de la sociologie, de la philosophie, de la psychologie, du marketing et du management, de la didactique de l'enseignement de la littérature, de la didactique. Il vise l'élaboration d'un diagnostic des enjeux actuels, des objectifs, des fonctions de l'enseignement de l'écriture littéraire, des dynamiques et des tendances dans ce domaine. Un diagnostic pouvant servir de support pour le déploiement du potentiel démocratique, critique et émancipateur de l’écriture littéraire et contribuer de la sorte au maintien du caractère institutionnel de l'enseignement littéraire, à la préservation et à la (re)construction de l'autonomie relative de l'école par rapport aux autres champs sociaux.
Sara Greaves Hétéroautoportrait professionnel
Hétéroautoportrait professionnel
Une table ovale de multinationale et à droite de grandes fenêtres qui longent le mur. Un parc verdoyant et plus loin, la ville de Nicosie. On m’aide à trouver des chaises, je pose du papier et un chapeau retourné sur la table, j’attends.
Mon affiche montrait un dessin de Banksy, une petite fille style Beatrix Potter en train de pécher des mots dans une mare..., puis Stephanos a dû se montrer persuasif. Je rêvais de faire écrire Chypriotes grecs et Chypriotes turcs côte à côte, mais je doute que cela se passe comme ça. Nous sommes du côté grec de la frontière de barils bleus, et le doyen turc a beau jouer les inter-communautaristes, les étudiants sont chypriotes grecs.
Ils commencent à arriver, par deux ou par trois, des garçons et des filles, insouciants ou lestés de l’histoire de leurs parents : difficile à dire. Quelques Erasmus aussi, et une Russe, une Chinoise, des Britanniques dont un tout en muscles tatoués, les yeux avides de ceux qui ont connu la faim. Je m’amuse à le situer socialement et le prends comme repère dans le groupe. Tiens tiens, still crazy, after all these years, comme s’il me rendait une part de moi-même.
Je fais dérouler mon atelier : un poème postcolonial, une chambre d’enfant, un objet, un interdit parental, une histoire... Avec une contrainte par-dessus les autres : mélanger les langues. Pour une vingtaine de participants, une vingtaine de langues. La Russe en parle six à elle toute seule, les Chypriotes au moins trois, mon Anglais est monolingue mais fera de son mieux... Son collègue, lui, parle deux langues africaines. On me demande si le chypriote grec est autorisé. J’ouvre intérieurement de grands yeux, puis repense à la question entendue ailleurs : « Vous voulez dire qu’on peut écrire en arabe ? Vous êtes sûre ? » Je rassure et encourage, mesurant mon ignorance des réalités de l’île.
Tout le monde creuse, écrit, confie des fragments de lui-même à l’anonymat du chapeau puis, lorsque tous ont pioché, à l’inconscient d’un autre. Le silence se fait. Des froncements de sourcils, quelques rires, des stylos qui raturent et un crépitement de papiers froissés. Ils sont lancés, ils n’ont plus besoin de moi.
Chypre... Un clocher et des bâtiments bas, peints à la chaux, l’université fut commandée par les Britanniques. On dirait une gare et je me dis qu’il faut que je pose la question à Stephanos – ils ont bien dû construire un chemin de fer ici, mes compatriotes ? Je souris de cette résurgence héréditaire – je viens d’une lignée de trainspotters – puis soupire à l’évocation de quelque High Commissioner balourd et bien-intentionné, tirant une droite de Famagusta à Karavostasi... J’apprendrai que le Cyprus Government Railway connut cinquante années de déficit avant de fermer, les Chypriotes l’admirant de loin mais y montant très peu.
Bientôt tout le monde aura terminé et ce sera l’écoute. Des textes intenses, pour certains, qui manient l’humour et la satire, d’autres sont légers, inconsistants. Il y a des histoires, et aussi l’Histoire. Un Chypriote m’écrit le lendemain pour m’offrir un mot en remerciement : ΕΝΔΥΝΆΜΩΣΗ, empowerment. La Chinoise aussi, son poème une narration secrète aux ondulations lentes.
Encore deux minutes pour mettre les dernières touches. Ca ira ? Je me lève et me rapproche des fenêtres. D’en bas dans la ville, on ne voit pas ce flanc de colline aride, au loin. On ne voit pas non plus ce croissant avec son étoile du drapeau turc, poinçonnés en rouge sur le versant grec. Mais il se reflète dans tous les regards qu’on croise.
Marie-Laure Schultze, Hétrautoportrait professionnel
PRÉSENTATION DES PARTICIPANTS : HÉTÉRAUTOPORTRAIT PROFESSIONNEL
APPEL :
Montaigne écrivait : « Nous sommes tous (faits) de lopins et d'une contexture si informe et diverse, que chaque pièce, chaque moment fait son jeu. (Il) se trouve autant de différence de nous à nous-mêmes, que de nous à autrui »[1].
S'il vous semble pouvoir dire, je suis une bande de jeunes à moi tout seul, comme le chantait Renaud, ou une bande de moins jeunes, cette consigne est faite pour vous : vous écrirez un hétérautoportrait professionnel pour explorer une (ou plusieurs) facettes de votre métier complexe – au sens de : composé d'éléments qui entretiennent des rapports nombreux, diversifiés, difficiles à saisir par l'esprit, et présentant souvent des aspects différents[2].
Cet hétérautoportrait pourra être biographique, terme que j'entends comme mise en texte d'événements, faits, souvenirs... que vous estimez avérés. Il pourra être fictionnel – parce que vous savez votre mémoire sélective et inventive, les zones d'ombre nombreuses, qu'un même événement est vécu différemment par les personnes présentes, sujet à des ré-interprétations etc.
Vous trouverez le texte-source dont est issu le présent Appel en page 2 du document. Sa lecture est optionnelle. Après l'avoir écrit en vue de notre Atelier, j'en ai extrait les phrases d'amorce à utiliser éventuellement pour votre incipit, le choix de celui-ci demeurant évidemment libre.
Quand j'anime (ou) cherche (ou) écris (ou) enseigne.
Il m'arrive de me sentir comme ...
TEXTE-SOURCE
Hétérautoportrait d'une animatrice-chercheuse-écrivaine-enseignante (ACÉE) – vision[3] 1.
Quand j'anime.
Il m'arrive de me sentir comme dans une cage en verre blanc.
Un carré ou un rectangle. Posé dans le coin d'une bibliothèque municipale. La paroi à ma droite est parallèle à un mur de la bibliothèque, rayonnages couverts de livres du sol au plafond. On peut circuler entre le mur de verre et les livres, y passe la largeur d'un homme.
Derrière, une étagère à hauteur de torse, quatre ou cinq étages, des livres de chaque côté ; ce coin est réservé aux livres pour enfants. On en entend qui rient, farfouillent, galopent pieds-nus ; une petite pleure dans une poussette, aussi.
Volontairement, le public me trouve dans la cage en verre, ne m'a pas vu entrer. Il est assez nombreux, souriant, détendu ; certains tiennent un dépliant de présentation de l'atelier tendu par les bibliothécaires derrière leur bureau. D'autres, des carnets et stylos.
Je suis un homme mince, presque maigre, voûté, les cheveux dans les yeux. Je ne regarde pas les participants qui se tiennent en désordre près de la cage en verre. (They're eager) . Un jean, une chemise pâle, pieds nus – j'ai demandé un carré de moquette épaisse en guise de fond pour mon bocal il m'a été accordé. Je n'ai pas peur, c'est juste une mise en scène, ces gens qui se pressent vers la gauche ; les autres, devant, je ne les vois pas, de dessous ma frange. J'ai juste saisi d'un coup d'oeil une bibliothécaire circulant dans le groupe pour distribuer des crayons à ceux qui n'en avaient pas. Ceux munis de carnets arrachent des feuilles pour les offrir aux voisins, sur la suggestion de la bibliothécaire aux crayons.
La Bibliothécaire-Aux-Crayons. Mentalement je me saisis d'elle, je fonds, affamé, vorace, impitoyable, serres en avant : elle m'évoque je ne sais quelle figure de conte et c'est de cette association fugitive que je sors ma première consigne.
Je la griffonne sur un post-it et la colle sur la paroi de verre. Succincte, lapidaire.
Les gens se haussent sur la pointe des pieds, se poussent, un peu, mais quand même.
Alors je prends le bloc de post-it à pleines mains et je reproduis la consigne en plus gros, et en lettres bâton, et j'en colle un peu partout.
Ça m'a excité, je sors de ma torpeur de rock star dégingandé et hâve qui se laisse observer sur l'avant de la scène, on ne m'arrête plus, je colle feuille après feuille, de toutes les couleurs, sur les parois, frénétique.
Dans le public, certains rient, d'autres ont le front plissé de concentration.
Comme des enfants.
Je suis accro à l'enfance.
C'est mignon, les enfants, dommage qu'il faille que ça grandisse. C'est comme pour les chiots.
Moi je ne grandis pas. Je suis déchaîné. Ces petits papiers de toutes les couleurs qui tiennent tout seuls sur les parois de verre, ça a une magie d'enfance.
Décalcomanies ; gommettes...
Une des bibliothécaires, il me semble qu'elle m'a jeté un regard un peu sévère. Contrit, je me reprends.
D'ailleurs, certains participants ont les yeux levés vers moi, comme de bons chiens qui attendent la promenade. J'ouvre mon cahier sur le bureau. je choisis une nouvelle consigne, brune, épaisse, odorante, elle va s'émietter entre leurs doigts, grasse et fertile, et déjà certains picorent les insectes qui s'en échappent, ils voudraient les manger mais il y a cette bibliothécaire qui tourne autour du groupe en jetant un œil à ce que chacun écrit, alors ils n'osent pas, ils n'osent pas fourrer les insectes appétissants dans leur bouche, ils les collent à leur papier, avec le soin d'entomologistes.
Et voilà que ça fait des phrases, les bestioles collées.
Beaucoup s'émerveillent, ces phrases se jettent dans leurs yeux éblouis en étoiles. Ils ont eu leur content, j'ai relevé la tête et je croise leurs regards, merci ça murmure, ils s'en vont, j'espère que chez eux ils s'assoiront et caresseront leur papier avec des crayons de couleurs, le front plissé de concentration, langue sortie.
Mais il y a les autres, qui restent, debout, déçus, ils hésitent, ils feraient bien une boule de leur papier, hop dans la corbeille, raté, tombe à côté, même ça je n'en suis pas capable ! Vont-ils oser, devant moi, alors que j'attends, à les regarder ? Non, ce sont des gens policés, on est dans une petite bibliothèque, ce n'est pas n'importe qui qui vient à un atelier de bibliothèque un samedi après-midi. Moi, je sens leur déception comme de l'eau, j'en ai déjà à la taille.
Il y en a qui partent, tête basse, épaules rentrées, ça fait une détonation dans ma tête, pour chacun une balle.
Les autres s'attardent. Un, deux. Trois, quatre, cinq, six. Sept.
La matrone a disparu, pfuit, comme par enchantement, l'espace est dégagé, il s'ouvre derrière les sept participants, je ne vois plus qu'eux, ils se tiendraient sur une plage vaste et vide que je ne les verrais pas mieux.
J'écoute le ressac ; ils sont patients. J'ai envie de me coller contre la paroi de verre, bras écartés et de leur faire deviner la consigne en gesticulant de la bouche, lèvres écrasées, deux limaces bavant des runes.
Alors je recule mon bureau, rapproche ma chaise dans le coin dégagé en leur faisant signe de s'approcher pour qu'ils aient tous la place, comme s'ils se penchaient par-dessus mon épaule, je suis assis alors ils doivent voir le haut plat de mon crâne, je prends un feutre noir à la mine épaisse et j'écris, en larges lettres bâton : QUI ÊTES-VOUS !?
Et je me recule rapidement comme si le papier me brûlait les mains, ou allait s'enflammer, et eux ils lisent la question.
Et ils acquiescent en opinant, et l'un après l'autre ils me tendent la main et font mine de serrer la mienne, et un petit hochement de tête, et ils s'en vont.
Dans un coin de la cage, je ne l'avais pas vu jusque-là, il y a un enfant bouche bée contre la vitre, un petit poisson, il n'a guère plus de six ans. Alors je souris, je sors deux bonbons d'un tiroir de mon bureau et on va les manger sur les gros coussins au milieu des albums, proprement, sans essuyer le sucre sur les coussins.
[1]Essais 2.1, p.22, Folio n°290.
[2]http://www.cnrtl.fr/definition/complexe
[3]Vision, rêverie, exploration d'associations... on choisira le terme qu'on préfère. Rêverie peut-être en référence à Bachelard, association à Freud ; vision comme rêve les yeux ouverts, où la scène se construit peu à peu, un coin exploré après l'autre, arpentée.
Marie-Laure Schultze, présentation
Présentation
● Animation, enseignement, transmission et formation[1] :
1.1 Animez-vous des ateliers d’écriture à l’Université ? De quel type ?
Depuis 2007 et selon les années, de la L1 au M2, des ateliers d'écriture bilingue anglais-français, plurilingue (toutes les langues dont l'étudiant.e dispose à des degrés divers de « maîtrise » dans son répertoire langagier) et de traduction créatrice – travailler la traduction autrement que sur le modèle traduction-concours (schématiquement : les étudiants traduisent chez eux, sont interrogés en cours, notent les propositions retenues), parce que se former à la traduction littéraire, c'est aussi se former à l'écriture autre que l'écriture normée des dissertations, commentaires composés, synthèses de documents etc.
Je suis également en train de mettre en place des ateliers à destination de chercheurs, afin de faire travailler leur « imagination » pour mettre à jour, éventuellement, de nouvelles hypothèses de recherche – principe de la pensée divergente notamment.
J'emploie le terme d'ateliers pour distinguer ces lieux d'expérience et de transmission des CM, TD et TP. On pourrait néanmoins s'entendre pour parler d'atelier de 1 à 12 participants, de fabrique jusqu'à 30, de manufacture jusqu'à 30, et d'usine au-delà, je l'ai dit sur ce blog http://atelierrecherche.canalblog.com/archives/2015/01/26/31412026.html.
1.2 En animez-vous également ailleurs qu'à l'Université ?
Pas cette année (2014-15).
1.3 Si vous n'animez pas : quelle(s) forme(s) prend votre enseignement de création littéraire ?
Sans objet.
1.4 Comment êtes-vous venu(e) à ce type de pratique ?
Au terme d'une longue maturation souterraine, je suppose...
J'écris de manière « non académique » depuis 1996 et, devenant de moins en moins souple avec l'âge, j'ai trouvé le grand écart entre recherche universitaire et recherche artistique de plus en plus douloureux, jusqu'à la quasi-déchirure (dépression et writer's block quand il s'agit de produire un article « conventionnel » en études littéraires) ;
consciemment, suite à la grève du CPE (2006), moment de revendications multiples qui réveilla chez certains d'entre nous l'envie d'améliorer nos pratiques pédagogiques, envie étouffée par la course aux publications, le manque de temps afférent, le découragement face à la multiplication de tâches administratives confinant désormais à l'absurde... Le centre d'Aix ayant été longtemps bloqué par des barrages étudiants, en l'absence d'accès à nos bureaux et à nos salles de cours, j'ai pu avec d'autres collègues me remettre à pratiquer la réflexion par le dialogue et l'écriture, hors contraintes de temps et d'obligation de résultats – ce qui s'appelle proprement réfléchir et chercher, de fait ; le reste s'appelle produire (on pourra reprendre la différence établie par Barthes entre écriture et écrivance).
1.5 Comment s’articule votre pratique avec vos autres enseignements (méthodologie, histoire de la littérature, enseignements de « langue » etc.) ?
Je n'enseigne plus la méthodologie des textes littéraires.
Il m'arrive encore d'enseigner la traduction littéraire de préparation aux concours. La traduction littéraire est un travail d'écrivain, les « ponts » sont donc faciles à faire.
1.6 A quel(s) niveau(x), dans quel(s) type(s) de diplôme intervenez-vous ? Comment ce ou ces diplômes sont-ils situés par rapport aux autres formations de votre département et de votre UFR ?
L1 à M2 selon les années. Les ateliers sont des UE optionnelles ou obligatoires, parfois des ½ UE, à l'intérieur de la formation à « l'anglais » délivrée par mon Département d'Études du Monde Anglophone (DEMA)
1.7 Quels sont les objectifs pédagogiques de la formation que vous dispensez ?
Schématiquement, les ateliers (fabriques / manufactures / usines) d'écriture artistique plurilingue ont pour objectif d'aider les étudiants à mieux « s'approprier » la langue anglaise, de s'en sentir locuteurs légitimes. Il faut comprendre cette différence fondamentale qui existe avec les ateliers en Lettres Modernes : mes étudiants écrivent dans une langue qu'ils sont en train d'apprendre.
En L1, l'objectif est en partie d'aider les étudiants à appréhender, par la pratique concrète, les différents outils méthodologiques (points de vue, genres etc.).
Pour chacune des années, l'objectif global est de donner aux étudiants l'opportunité d'explorer le hors-champ de l'écriture universitaire dont il semble qu'en France, notamment dans la dissertation, on s'attende à ce qu'elle prenne la forme d'un « style neutre ». On assimile souvent cette « neutralité » à de l'objectivité – soit, mais il faudrait s'entendre sur les termes : on le sait, un style « objectif » est éminemment construit, et idéologiquement marqué ; c'est bien un objet, mais certainement pas un « objet naturel ». Par ailleurs, l'anglophone en moi regimbe : neuter en anglais signifie « enlever les organes génitaux » (l'acception n'est utilisée en français qu'en entomologie mais « neutraliser » … fait froid dans le dos !).
1.8 Quelle(s) forme(s) prend l’évaluation des pratiques d’écriture littéraire ou de création littéraire dans votre diplôme ? Quels types d’écrits sont demandés aux étudiants ?
Les UE étant en Contrôle Continu Intégral, et les étudiants entre 20 et 40 par groupe, j'essaie désormais de ne pas « évaluer » plus de trois écrits courts (barre haute = 700 mots), de prose ou de poésie, dont l'un écrit en classe.
Cette année, en plus des trois « devoirs » notés, les étudiants ont écrit une dizaine de textes qu'ils rangeaient au fur et à mesure dans un porte-vue ; j'ai lu tous ces textes, ai fait de très brefs commentaires (en général d'encouragement + petites pistes d'écriture), ai mis des lettres (A+, A jusqu'à C) mais pas de notes.
L'évaluation me semble demeurer un des aspects les plus problématiques de l'écriture artistique à l'Université.
1.9 Faites-vous intervenir des écrivains ? Pour des interventions de quelles formes ? Quel est leur rôle dans le dispositif de formation ?
Non, notamment pour des raisons financières, et parce que je n'ai pas encore trouvé, dans mes fabriques d'écriture plurilingue, la possibilité de mener avec les étudiants un travail d'une ampleur telle qu'ils retirent de l'intervention un bénéfice à la hauteur du coût pour mon département ou autre composante.
● Écriture :
2.1 Quelle place – qualitative et quantitative – réservez-vous à votre écriture / vos écritures (précisez : dans votre enseignement ? dans votre recherche ? votre vie ? ) ?
« Est littérateur quiconque aime penser un clavier sous les doigts », aurait écrit Leiris s'il avait connu les ordinateurs[2]. Ma tête est pleine de bruits, il n'y a qu'en écrivant que j'arrive à peu près à décoller mes mains de mes oreilles et à sortir ma tête d'entre mes genoux pour analyser ce qui se passe ; je vois mal comment on peut vivre autrement que dans la perplexité. Au mieux. Très belle citation d'Agamben par Stéphane Nowak sur le blog : Contemporain est celui qui reçoit en plein visage le faisceau de ténèbres qui provient de son temps. Merci Stéphane (http://atelierrecherche.canalblog.com/archives/2015/02/01/31447279.html) !
2.2 Distinguez-vous votre écriture académique (livres, articles, compte-rendus etc. scientifiques) de vos autres formes d'écriture ? Pourquoi ? En quels termes ?
Actuellement en cours de préparation à l'HDR, je n'ai le temps que pour de l'écriture d'essai. L'exercice est difficile, voire douloureux, mais aussi bien ma libido sciendi que ma libido creandi jubilent, car j'y fait l'expérience d'une écriture « transgenre », à la fois artistique et universitaire – combien de temps faudra-t-il opérer toutes ces distinctions, d'ailleurs ?
Depuis quelques années, je ne suis capable d'écrire des articles comme je le faisais « autrefois » qu'au prix d'une telle dépense d'énergie (psychique, d'auto-motivation...) que le jeu n'en vaut pas la chandelle.
Si, dans ma « province », j'avais reçu de l'écrivain d'autres clichés que celui du génie – homme, donc – solitaire et tourmenté – je ne serais peut-être pas devenue enseignante et chercheuse de profession. Peut-être que si, dans mon « milieu », m'était parvenu un modèle de mama bien en chair, une nichée sous les seins, posant ses cahiers sur la tête de ses rejetons pour écrire... Who knows? Ça n'a aujourd'hui plus d'importance. At long last.
2.3 Comment ces pratiques et formes d’écriture influent-elles sur les travaux et les formes d’écriture que vous proposez aux étudiants ? Sur les dispositifs d’évaluation ?
Je ne fais pas encore pratiquer l'écriture « trans-genre » à mes étudiants.
Ma réflexion n'est pas encore suffisamment aboutie pour que je réponde à cette question.
● Recherche :
3.1 Comment s’articulent vos activités de recherche et vos pratiques d’enseignement, d’animation, de formation... ?
Dans le surmenage chronique, mais plus dans la schizophrénie, comme du temps où d'une main je cherchais pour écrire sur les textes des autres, et de l'autre je cherchais en écrivant mes propres textes (j'ai « commencé à écrire » de manière soutenue en 1996 et ai soutenu ma thèse, au bout de 4 ans de recherche(s), en 1997).
Je ne fais plus de distinction entre ces différents aspects – tout au plus s'agit-il de moments différents. La recherche permet des moments de réflexion à plusieurs corps et à un seul esprit – comme un seul homme, selon l'expression consacrée et, à effet de clarté, on pourrait peut-être adopter celle de comme une seule femme pour parler de la recherche collaborative. La recherche permet également des moments de réflexion à un seul corps et à plusieurs esprits – que l'on conçoive ça en termes de dialogisme, de plurivocité … mais certainement pas de conscience divisée : la recherche progresse par résolution d'in-cohérences (cohérence = absence de contradiction), ce qui n'empêche pas que les multiples points de vue / hypothèses aient lieu à l'intérieur d'une psyché qui se vit comme en cohésion (= union, solidarité étroite).
Les quatre facettes de mon métier & ma profession – animer, chercher, écrire, enseigner – s'articulent également autour de deux projets :
* amener en atelier des chercheurs non animateurs à ré-animer leur recherche par l'exploration de ses hors-zones ;
* créer des textes-appels qui amènent des chercheurs-animateurs à explorer les impensés des différentes facettes (3 ou 4 pour les universitaires) de leur métier & profession. Pour cet Atelier, j'ai ainsi produit un Hétérautoportrait ; de manière plus globale, je parle de « fable professionnelle » : faire émerger des aspects peu visibles de sa pratique par l'exploration indirecte (conte & fable), de manière à éviter que ne se dressent les barrières automatiques du tabou / interdit / impensable professionnel.
3.2 Menez-vous une activité de recherche spécifique sur les ateliers d’écriture, la création littéraire, l’écriture créative ?
Oui (dieu soit loué, une réponse courte...)
3.3 Si oui, comment s’articule la recherche dans ce domaine avec les autres champs de recherche que vous pratiquez ?
Je ne pratique pas dans d'autre champ, j'ai assez à faire avec celui que j'ai ☺
3.4 Existe-t-il un axe, un groupe de recherche spécifique dans votre (vos) labo(s) de rattachement ?
J'ai la chance d'appartenir à un labo, le LERMA (Laboratoire d'Études et de Recherche sur le Monde Anglophone, EA 853) dont l'un des axes s'intitule : Linguistique, Traduction et Recherches Transversales (LTRT) !
3.5 Si non, comment votre recherche s’articule-t-elle avec les axes officiels ?
Sans objet.
● Terminologie :
4.1 Quelle terminologie utilisez-vous pour définir votre travail, vos champs de recherche, d’intervention en formation etc. ?
4.1.1 Travail : je distingue métier – ce que je sais faire – de profession : pour qui je le fais, à qui je dois mon service ;
Selon l'interlocuteur, il me semblerait pertinent de parler d'AEC – animateur-enseignant-chercheur (mais l'Appellation d'Origine Contrôlée en sous-impression me pose question) ;
ou d'animateur-artiste – au cas où il faudrait rappeler que l'écriture littéraire est une pratique artistique (l'enseignement et la recherche aussi, d'ailleurs, de mon point de vue, si l'artiste est celui dont l'art est un ethos qui engage toute sa vie) ;
ou d'ACÉE (animateur-chercheur-écrivain-enseignant), quand on vous laisse … assez de temps pour parler ;
Je serais étonnée que l'on trouve que ça fait beaucoup : n'a-t-on pas coutume de dire des femmes qu'il faut qu'elles soient amantes-femmes-mères et travaillent (difficile à nominaliser, celui-là : une professionnelle n'évoque malheureusement pas la même chose qu'un professionnel...)
4.1.2 champ de recherche : didactique du plurilinguisme et épistémologie de la recherche.
4.1.3 intervention en formation : ateliers d'écriture artistique plurilingue à destination de publics universitaires, car ça n'inclut pas que les étudiants.
● Institution :
5.1 Quels sont vos rapports avec les différents niveaux institutionnels (département, labo, UFR, université, ministère etc., pour les diplômes et pour la recherche ?)
Constat de difficulté à faire comprendre & accepter le caractère innovant d'une part, transdisciplinaire de l'autre, des ateliers universitaires d'écriture artistique plurilingue, lorsqu'il s'agit du financement de la recherche (CRCT par exemple), comme de la publication. Les deux termes innovation & transdisciplinarité apparaissent dans directives, formulaires, instructions officielles etc. mais tout cela reste des mots...
5.2 Quelle est la reconnaissance de ces activités par les institutions ?
Croissante : v. financement de cet Atelier, l'intégration d'ateliers dans le programme de colloques, l'invitation à des séminaires et journées d'études etc.
● Perspectives, avenir :
6.1 Connaissez-vous des manifestations déjà prévues qui pourraient être un prolongement de cet Atelier de recherche ?
Un appel d'offres pour le programme Hubert Curien-Tassili transmis par Sabiha Benmansour de l'université de Tlemcen, Algérie ;
Un cfp sur « Écrire ses origines » à l'Université de Tozeur en novembre 2015.
6.2 Quelles manifestations seraient à mettre en place pour prolonger l'Atelier ?
Je pense que nous devrions créer une revue, avec comité de lecture international, qui publierait entre autres des textes de réflexion, des consignes / appels, des textes d'étudiants et de collègues...
● Axes :
7.1 Quelles sont vos attentes en participant à cet atelier ?
En tant que co-porteuse du projet et organisatrice multi-tâches, que chaque participant.e soit stimulé.e.
En tant que participante, que nous nous fédérions pour faire avancer un chantier magnifique ouvert par d'intrépides pionnières...
7.2 Quels axes vous intéressent ?
Tous.
[1] Lorsque nous avons établi ce questionnaire avec Jean-Marc, j'avais pour ma part rempli en 2009 le questionnaire établi par Violaine Houdart-Merot et Christine Mongenot, questionnaire qui a servi à l'enquête nationale publiée en 2013 chez H. Champion, in Pratiques d'écriture littéraire à l'université. Violaine et Christine nous avaient aimablement autorisé à le ré-utiliser. Pour finir, nous ne l'avons pas fait, mais je remercie ses auteures de l'avoir généreusement mis à notre disposition.
[2] Citation très connue du début de l'Âge d'Homme : « est littérateur quiconque aime penser une plume à la main ».
Jean-Marc Quaranta, présetation (fleuve...)
Animer, enseigner, former
Animez-vous des ateliers d’écriture à l’université ? de quel type ? si non, quelle(s) forme(s) prend votre enseignement de création littéraire ?
J’ai encore animé cet année un atelier d’écriture (« écrire (avec) le moyen âge »), mais ce ne sera plus le cas l’an prochain où cet atelier sera ouvert aux étudiants spécialistes du parcours Création littéraire et cinématographique. Je n’anime pas véritablement d’atelier d’écriture, mais des ateliers de réécriture. Je commence le travail là où habituellement il s’achève dans l’atelier, quand on reprend les textes écrits.
Comment êtes-vous venu à ce type de pratique ?
Je suis venu à cette pratique par mon parcours de chercheur en génétique des textes qui m’a fait travailler sur le processus, donc la réécriture, et aussi par mon parcours d’enseignant du secondaire où j’ai utilisé des retours écrits, par projection vidéo, pour faire progresser les élèves à l’écrit. Les ateliers que j’ai menés avec François Heusbourg, poète et directeur des éditions Unes m’ont aussi appris à être attentif au suivi éditorial du manuscrit.
Cette pratique tient aussi au fait que j’interviens dans la licence création littéraire et cinématographique et que la demande des étudiants est d’améliorer leur capacité d’écriture. Il s’agit moins de les « faire écrire », ils le font bien tous seuls, mais de les faire réécrire pour qu’ils découvrent qu’un écrivain… ne fait pas qu’écrire mais qu’il lit, se documente, corrige, pense même.
Comment s’articulent votre pratique avec vos autres enseignements (littérature, langue, etc.) ?
Cette pratique s’articule avec mes enseignements de littérature d’une façon expérimentale. Dans l’idéal, je souhaiterais que mes cours de littérature découlent des besoins des étudiants en matière d’écriture : étudier Michon quand on est engagé dans une écriture des siens, ou Simon, ou Modiano ; étudier Simon, encore, quand on se pose des questions sur la structure, la restitution des sensations. Dans la pratique, j’ai proposé des consignes d’écriture à mes étudiants dans l’UE « lecture du récit » que j’ai sauvagement rebaptisée « Lecture-écriture du récit » autour du Vent, de Simon, avec pour objectif de voir ce qu’il serait possible de faire de leurs textes dans un cours de littérature et aussi comment l’écriture aide à lire ; je tenais aussi à ne pas me cantonner au pastiche. Pour le cours de 3e année de licence « Textes fondateurs », l’objectif sera de faire étudier le travail de l’écrivain et son parcours, Michon pour le parcours, Gide (Le journal des Faux-monnayeurs) et Proust (Contre-Sainte Beuve) pour la réflexivité sur l’écriture et pour le travail de réécriture et de gestation de l’œuvre, du projet.
A quel(s) niveau(x), dans quel(s) type(s) de diplôme intervenez-vous ? comment est-il sont-ils situés par rapport aux autres diplômes ? quelle place y tient l’enseignement que vous dispensez ?
J’interviens dans la licence de création littéraire et cinématographique et dans le DU formateur en atelier d’écriture. La licence est un parcours de la licence de lettres modernes, elle est à ma connaissance la seule en France à proposer de la création littéraire à ce niveau comme enseignement obligatoire et caractéristique du parcours. La création littéraire s’articule avec la littérature, la linguistique et l’écriture de scénario, avec mes collègues nous menons un travail interdisciplinaire. Le DU est un diplôme « historique » pour les ateliers d’écriture. Les ateliers de réécriture y ont trouvé leur place comme moyen de développer la qualité des retours et aussi de pratiquer une écriture longue accompagnée.
Quels sont les objectifs pédagogiques de la formation que vous dispensez ?
Les objectifs pédagogiques sont encore à définir, ils émergent des travaux de recherche (ce qu’on trouve chez les écrivains) et aussi de la pratique d’atelier de réécriture. Se dégagent des « passages obligés » de la création littéraire qui sont indispensables à maîtriser à la fin d’une licence. Cela donne aussi des perspectives de recherche pour le master, pour des colloques : travailler sur l’atelier d’écriture des premières œuvres (Naissance de L’Odyssée de Giono, Le Grand Meaulnes, Contre Sainte-Beuve), proposer une réflexion sur des moments de l’écriture (le recherche documentaire, le repérage des contraintes involontaire, la question du genre, du ton, du style…)
Quelle(s) forme(s) prend l’évaluation des pratiques d’écriture littéraire ou de création littéraire dans votre diplôme ?
Il y a une part d’évaluation collective avec les collègues qui encadrent les scénarios. Pour les séances de création littéraire et pour le DU, l’évaluation se fait à partir des objectifs du « travail de l’écrivain » : être capable faire avancer un projet d’écriture et de porter sur lui un regard réflexif, de comprendre qu’écrire… ce n’est pas qu’écrire.
Quels types d’écrits sont demandés aux étudiants ?
Essentiellement, je demande des écrits assez longs, ou plutôt portés dans la durée et accompagnés d’une partie analytique, réflexive qui est une préparation à la recherche en création littéraire. La consigne de départ importe peu. Celle que je préfère, prendre cinq mots à la volée et écrire un texte qui les contienne, on peut constater à quel point c’est le langage qui fait l’écriture, comme on a besoin de peu pour écrire… et comment on aime se compliquer cette tâche !
Faites-vous intervenir des écrivains ? Pour des interventions de quelles formes ? Quel est leur rôle dans le dispositif de formation ?
Je fais d’abord intervenir des écrivains morts, c’est moins couteux ! On peut surtout travailler sur leurs processus d’écriture, alors que les vivants n’ont, en général, pas trop de recul sur leur pratique et c’est leur droit et même leur devoir : ils créent, ils n’ont pas aussi à rendre compte de leur création. Ceux qui sont intervenus l’ont fait pour parler de leur métier, de leur vie matérielle : comment on vit de l’écriture ? Il me semble que pour travailler avec un écrivain, il faut déjà avoir une certaine personnalité d’auteur, pour pouvoir apprendre de lui et aussi résister à une certaine « manière de faire » qui s’impose de fait.
Écriture :
Quelle place – qualitative et quantitative – réservez-vous à votre écriture / vos écritures ?
Je suis là en tant que chercheur, j’évite donc de faire référence à mes écrits personnels, afin de ne pas me situer dans une relation de compagnonnage direct. J’ai cependant présenté mon travail d’écriture en cours sur la biographie d’Alfred Agostinelli (le modèle de l’Albertine de La Recherche) comme exemple de suivi de projet, de travail de création et de retour réflexif sur des pratiques.
Distinguez-vous votre écriture académique (livres, articles, compte-rendus etc. scientifiques) de vos autres formes d'écriture ? Pourquoi ? En quels termes ?
Je ne fais pas de distinction entre ce que j’ai pu écrire pour le théâtre et ce que j’écris dans mon activité de chercheur. Les problèmes d’écriture sont, au fond, très similaires : on a toujours affaire avec les mots, les phrases, la structure. Pour le livre sur Agostinelli la frontière entre les deux domaines est d’ailleurs au cœur du projet et de la réflexion qui l’accompagne puisque c’est un travail de génétique et aussi un récit biographique voire autobiographique.
Comment ces pratiques et formes d’écriture influent-elles sur les travaux et les formes d’écriture que vous proposez aux étudiants ? Sur les dispositifs d’évaluation ?
Cette pratique de l’écriture me confirme qu’écrire est un processus et que c’est la première chose à apprendre, que la seconde ce sont les grands moments de ce processus.
Recherche
Comment s’articulent vos activités de recherche et votre pratique d’enseignement, d’animation, de formation ?
Je suis un des rares chercheurs en génétique des textes à être entré à l’université, cette discipline s’enseigne difficilement et elle est surtout cantonnée au CNRS, à la recherche pure. J’ai dû décentrer ma pratique de chercheur vers un domaine qui est pour moi la création littéraire, avec trois côtés, la création littéraire dans le texte fini, telle qu’on l’étudie de façon assez traditionnelle en critique littéraire ; la création littéraire telle qu’on la voit dans les brouillons des écrivains ; la création littéraire comme objet de recherche pour l’enseignement en licence, master et doctorat : quelle recherche pour les étudiants en théorie et pratique de la littérature ? en master Création littéraire ?
Menez-vous une activité de recherche spécifique sur les ateliers d’écriture, la création littéraire, l’écriture créative ?
Même si mon poste ne comportait pas de partie recherche en ateliers d’écriture ou en création littéraire, il m’est apparu tout de suite évident, dès le passage devant le comité e sélection, que je devais investir ce champ de recherche. De là le projet de passer des brouillons d’écrivains à ‘atelier de réécriture. De là aussi l’intérêt pour l’épistémologie et la part des études culturelles en face des études littéraires et avec elles.
Si oui, comment s’articule la recherche dans ce domaine avec les autres champs de recherche que vous pratiquez ?
Cette recherche se nourrit de ma recherche sur les brouillons des écrivains. J’ai beaucoup travaillé sur Contre Sainte-Beuve et sur les premiers écrits de Proust, je m’appuie sur ce que j’ai observé pour dégager des problématiques de recherche : le ton, le style, les recherches, les plans, les projets, les mécanismes de repentir etc.
Je suis aussi un mémoire sur le manga et la littérature et un autre sur la littérature et les jeux vidéo, c’est un moyen de comprendre certaines attentes des étudiants et d’en faire des sujets de recherche et aussi un champ d’exploration de formes renouvelées du fait littéraire.
Existe-t-il un axe, un groupe de recherche spécifique dans votre (vos) labo(s) de rattachement ?
Si non, comment votre recherche s’articule-t-elle avec les axes officiels ?
Je suis rattaché, au sein du CIELAM, au groupe 19-21, je suis un chercheur en littérature française, il n’y pas (encore) d’axe création littéraire, mais mon rôle est de faire exister la recherche en création littéraire dans notre labo. Je n’ai pas encore apporté ma contribution à l’ITEM dans ce domaine, mais c’est mon intention !
Terminologie
Quelle terminologie utilisez-vous pour définir votre travail, vos champs de recherche, d’intervention en formation ?
Le poste sur lequel j’ai été élu était intitulé littérature 20e 21e siècle et « ateliers d’écriture ». L’emploi des guillemets, m’a fait songer qu’il y avait une difficulté à nommer la chose. Si pour le DU la formule se justifiait, ce n’était pas le cas pour la licence, j’ai donc rebaptisé mon poste littérature 20e 21e et création littéraire, encouragé dans ce sens par création de la mention de master Création littéraire en 2014.
L’atelier d’écriture est une pratique, une forme, un dispositif didactique ou pédagogique, ce n’est pas un champ de savoir, un champ disciplinaire, il est hyponyme ; création littéraire présente l’intérêt d’une polysémie (les trois côtés dont je parlais plus haut) et aussi d’une transition en pente douce de nos pratiques habituelles de la critique littéraire, qui est un discours sur la création littéraire vers l’étude (génétique) de ces processus et jusqu’à le recherche sur ce qui se passe quand nous créons (la poïetique de Valéry). Création littéraire a aussi l’avantage d’être hyperonyme, l’atelier d’écriture en est une partie, une pratique etc.
La formule écriture créative me semble marquée par l’opposition avec une écriture qui ne le serait pas, l’écriture académique, en cela elle est marquée par le rapport aux institutions et aux pratiques pédagogiques. C’est historiquement et épistémologiquement vrai, mais cela tend à s’effacer, au moins dans le secondaire. Par ailleurs, même une dissertation comporte une part de création, même si elle est très contrainte dans sa forme (ce qui serait plutôt un indice de créativité) un article me semble aussi relever de la création. Cette notion est utile pour distinguer les travaux d’écriture, les types de production : dans un doctorat en théorie et pratique de la création littéraire on a un écrit académique et un écrit créatif.
Donc mon lexique personnel, je situe la création littéraire comme terme englobant définissant un champ dans lequel on trouve des ateliers (d’écriture, de réécriture, etc.) et où l’on pratique l’écriture créative, ce qui n’exclut pas d’autres formes plus institutionnelles d’écriture.
Institution
Quels sont vos rapports avec les différents niveaux institutionnels (département, labo, UFR, université, ministère etc., pour les diplômes et pour la recherche ?
Aix est un peu la Mère des batailles des ateliers d’écriture à l’université grâce au travail fondateur, visionnaire et militant d’Anne Roche. Je suis donc arrivé dans un environnement très favorable avec un diplôme existant et un autre récemment créé.
Les choses ont été plus compliquées pour la recherche, il a fallu montrer que ce n’était pas que de la pédagogie mais aussi un authentique champ de recherche. J’ai trouvé des collègues très attentifs et réactifs à ces demandes, cet atelier en est la preuve
Quelle est la reconnaissance de ces activités par les institutions ?
Il y a une très bonne reconnaissance au niveau du département, du pôle, de l’UFR, il reste à faire aussi reconnaître cela au niveau d’AMU. Jean-Raymond Fanlo qui dirige la première thèse du doctorat théorie et pratique de la création littéraire s’y emploie avec succès !
Perspectives, avenir
Quelles manifestations prévues pourraient être un prolongement de cet atelier de recherche ?
Le colloque Giono organisé par le CIELAM où il devrait être question de l’atelier d’écriture de Giono autour de Naissance de L’Odyssée, avec les retours écrits de son ami Lucien Jacques.
Le projet de réponse à l’appel à projets coopération transatlantique sur l’écriture numérique dont nous parlerons avec Marc-André Brouillette (UQAM).
La venue de Natalia Hristova (de Sofia) dans le cadre d’un projet IMéRA, s’il est retenu cette année.
Le colloque en projet sur « L’extension du domaine des lettres » qui traitera des formes nouvelles de littérature sera aussi une occasion d’interroger le rapport différent que la création litétraire établit avec le fait littéraire
Le colloque de Cergy à l’automne prochain sur les modalités d’évaluation, les types d’écrits est sans doute la prolongation la plus importante.
Quelles manifestations à mettre en place pourraient prolonger cet atelier ?
Il serait bon de refaire un questionnaire sur les pratiques de création littéraire à l’université, pour voir l’évolution depuis 2010 et aussi pour s’interroger sur l’avenir, les besoins en matière de recherche.
Un projet ANR sur la création littéraire qui intéresserait plusieurs universités me semble indispensable pour des questions de visibilité et de légitimité de notre champ disciplinaire.
Je rêve aussi d’un grand colloque qui réunirait également des collègues travaillant sur l’ergonomie de la création et sur la neuro physiologie de la création, je compte y travailler avec de collègues d’AMU qui n’ont pu être parmi nous.
Attentes, axes ou groupes qui vous intéressent
Quelles sont vos attentes en participant à cet atelier ?
Je cherche à préciser ma cartographie mentale de ce champ de recherche qui se métamorphose en passant des ateliers d’écriture à la création littéraire. C’est un moment d’évolution extrêmement important qui s’accompagne de la création de diplômes, de l’invention de formes d’évaluation et de sujets voire d’objets de recherche.
Cette construction d’un champ de savoir se fait également à un moment de bascule pour les études de lettres dont on peut espérer que ces formes nouvelles pourront aider à enrayer le déclin et aussi à comprendre les mutations.
Quels groupes parmi ceux proposés vous intéressent particulièrement ?
L’axe 3 (ateliers plurilingues) est celui que j’attends de découvrir car je n’en connais rien et cela m’intéresse. Par ordre de priorité, l’axe 2 intéresse directement ma réflexion sur la génétique et la création littéraire, l’axe 1 est englobant et concerne l’approche épistémologique, la structuration du champ de recherche lui-même, l’axe 4 est indispensable pour se projeter dans les cinq prochaines années avec une visibilité collective sur nos activités de recherche, il y a un travail de prospective et de planification à mener.
Vincent Message, présentation
Présentation – Atelier de recherche en création littéraire
Vincent Message
J’enseigne la création littéraire depuis le lancement du master à Paris 8 Saint-Denis en septembre 2013. J’y suis maître de conférences en Littérature générale et comparée. Pour avoir fait mon doctorat dans cette université les années précédentes, j’ai aussi participé à la réflexion qui a précédé la création du master.
1. Réflexion préalable
Cette réflexion s’est structurée notamment autour d’une journée d’études en juin 2012 sur le livre passionnant de Mark McGurl, The Program Era, qui raconte l’influence du développement du creative writing sur la littérature et le champ littéraire étatsunien. Étaient invités à discuter autour des propositions de McGurl et avec lui des responsables des formations en création littéraire de l’Institut littéraire suisse de la Haute école des arts de Berne (Marie Caffari), de l’Université de Norwich (Andrew Cowan) et du Deutsches Literaturinstitut Leipzig (Joseph Haslinger).
J’ai ensuite été passer une semaine à Leipzig pour observer le fonctionnement du Deutsches Literaturinstitut et réaliser un certain nombre d’entretiens. À l’inverse, ce sont bientôt des collègues de Berne qui viendront observer le fonctionnement de notre master.
2. Nos étudiants
Le master de Paris 8 peut accueillir vingt étudiants par année, une quarantaine donc au total. Ces deux dernières années, nous avons reçu cent-cinquante candidatures environ et nous avons donc été amenés à mettre en place une sélection en deux temps : sur dossier écrit d’abord (les étudiants nous envoient une présentation du projet de création qu’ils souhaitent mener à bien sur deux ans, et un extrait de quelques pages de ce projet ou d’un autre texte récent qu’ils ont écrit), puis à l’oral (où nous menons une discussion très libre avec eux, destinée aussi à ce qu’ils sachent bien dans quoi ils s’engagent, qu’ils connaissent les principes de la formation et soient notamment bien disposés à l’idée de recevoir des retours critiques collectifs sur leurs textes).
Ces étudiants ont tous déjà une pratique de l’écriture littéraire en français. Leurs profils sont extrêmement variables. La fourchette d’âges va de 22 à 41 ans. Beaucoup ont déjà un emploi ou du moins un travail étudiant et aménagent leur emploi du temps pour suivre les cours. Quelques-uns sont étrangers (Bulgarie, Biélorussie, Etats-Unis) mais ont fait tout ou partie de leurs études en France. Certains ont une formation littéraire préalable, d’autres une culture littéraire beaucoup plus autodidacte.
Toutes les formes d’écriture sont les bienvenues dans le master. La moitié environ de nos étudiants pratiquent la prose narrative (roman ou nouvelles). L’autre moitié le théâtre, la poésie, des formes hybrides ou des formes performées. La seule restriction que nous avons posée pour l’instant concerne l’écriture de scénario, car elle est enseignée dans beaucoup d’autres établissements d’enseignement supérieur et notamment à l’Université Paris Ouest Nanterre, avec laquelle nous sommes partenaires et désormais engagés dans la COMUE « Université Paris Lumières ».
3. Les différents volets de la formation
1) Des cours théoriques (esthétique, stylistique, génétique, sociologie du champ littéraire, cours sur la traduction) souvent mutualisés avec le master Littérature/s. J’ai donné un cours dans cette catégorie, sur les renouvellements du réalisme contemporain (Franzen, Ernaux, Jauffret).
2) Des ateliers qui leur permettent d’expérimenter de nouvelles formes d’écriture : certains courent sur tout un semestre, d’autres sont intensifs et ont souvent lieu hors les murs, chez une de nos institutions partenaires (Théâtre Gérard Philippe, Bibliothèque nationale de France).
3) Le suivi de projet, cours central de la formation, où est discuté tout au long des deux années l’avancement de leur projet de création principal. J’ai la charge cette année d’un des demi-groupes de M1 (de dix personnes, donc).
4) Des rencontres littéraires avec des éditeurs, des critiques, des libraires, des traducteurs, des écrivains, des dramaturges. Cela part d’une volonté de construire des passerelles entre le monde littéraire et le monde universitaire, qui se fréquentent souvent, se recoupent dans la sphère privée sans que cela ait une traduction nette pour les étudiants dans leur cursus. En l’occurrence, il s’agit de dessiner avec eux une cartographie des tendances esthétiques de la littérature contemporaine, mais aussi du milieu éditorial (afin qu’ils aient une idée plus précise des espaces de publication qui pourraient convenir à leurs textes) et des métiers du livre plus généralement, pour qu’ils réfléchissent à la réponse singulière qu’ils voudront donner à la question du double métier. J’ai mis en place des rencontres de ce type depuis 2011 à Paris 8 et ai reçu depuis une vingtaine d’invités. Ces rencontres font l’objet de comptes-rendus disponibles en ligne.
5) Enfin un stage à faire dans le domaine des arts et de la culture et un atelier-mobilité à prendre dans une autre formation.
Les étudiants ont par ailleurs chacun un enseignant-référent (l’équivalent de ce que serait un « directeur de recherche », mais pour des raisons compréhensibles les mots de directeur ou directrice de création nous gênaient et nous nous sommes rabattus sur ce terme moins affirmé, qui n’empêche pas au quotidien un flottement terminologique).
La validation des cours se fait sur des principes variables. Dans le suivi de projet, chaque étudiant doit être lecteur (et parfois « lecteur principal », plus impliqué dans une analyse de détail) des textes des autres, et c’est donc l’implication dans le collectif qui est évaluée. Les séminaires théoriques et les ateliers peuvent être validés par des essais ou par des fictions littéraires brèves. Certains travaux font l’objet de publications collectives (livret suite à l’atelier effectué à la BNF).
Lors de la soutenance de M1, nous demandons à nos étudiants de présenter un début abouti de leur projet de création, d’une ampleur suffisante pour que nous puissions juger qu’ils sont engagés sur une voie prometteuse. En M2, le projet doit être fini. Il est tout à fait possible que ce ne soit pas le cas, en juin, des projets de grande ampleur (romans longs…) – auquel cas il nous faudra réfléchir à la forme que peut prendre l’évaluation.
Dans tous les cas, nous insistons beaucoup plus sur les commentaires de lecture que sur les notes.
4. Ancrage institutionnel
Le master a pu se lancer car l’Université Paris 8 Saint-Denis fait depuis longtemps une place importante à des enseignants qui sont aussi des écrivains (de fiction ou de théorie). L’équipe pédagogique est ainsi pour l’essentiel formée de personnes qui enseignaient déjà là-bas depuis longtemps : Olivia Rosenthal (publiée chez Verticales) et Lionel Ruffel (essayiste et éditeur chez Verdier) qui sont co-responsables de la formation. Christine Montalbetti (publiée chez POL), Diego Vecchio (qui enseigne au Département d’études hispaniques, traduit de l’espagnol, écrit en espagnol et est publié en France à l’Arbre Vengeur), Dieter Hornig (germaniste, traducteur du français vers l’allemand) et Sylvain Pattieu (historien, publié chez Plein Jour). Pour ma part, j’ai publié jusqu’à présent un roman (Les Veilleurs, 2009) et un essai tiré de ma thèse (Romanciers pluralistes), tous deux aux éditions du Seuil.
Le master a été soutenu d’emblée par la présidence de Paris 8. Il permet de faire fonds sur l’identité distinctive de l’Université, alors qu’elle est absente d’autres domaines de la formation en lettres, puisque nous n’avons pas par exemple de préparation au concours de l’agrégation, et que notre préparation au CAPES tourne avec un petit effectif (10 étudiants en moyenne) et est mutualisée avec Paris 13. La formation a aussi obtenu le label Idefi, ce qui permet de financer certaines initiatives (venue de professionnels ; atelier-mobilité au Rwanda dans le cadre d’un travail sur la mémoire des génocides).
Fin 2013, lors de la réduction du nombre de mentions de masters habilitées par le ministère, nous avons dû nous battre, avec d’autres acteurs que nous avions sollicités, pour que la mention « Création littéraire », toute jeune, ne soit pas victime de cette réforme. Nous avons obtenu gain de cause, ce qui nous a paru être un progrès institutionnel important.
Écriture et recherche
J’ai commencé à écrire de la fiction littéraire bien avant de m’engager dans la voie de la recherche. C’est en découvrant le plaisir que j’avais à enseigner et à faire de la recherche que je me suis rendu compte que ce serait aussi là une carrière un peu plus compatible que d’autres avec mon travail littéraire.
Mon premier roman, Les Veilleurs, a été publié alors que j’étais en début de thèse. Au cours de la thèse, je me suis concentré sur l’écriture de recherche, dans l’idée que je voulais faire de la thèse un livre, très vite, qui permette à la théorie du roman et à la réflexion sur la politique de la littérature que je proposais autour de la notion de pluralisme de circuler aussi dans le milieu littéraire et pas seulement dans le milieu académique. Au Seuil, c’est donc le même éditeur, Frédéric Mora, qui a eu ce texte en charge et qui l’a fait paraître dans la collection « Le Don des Langues ».
Depuis, j’alterne, selon aussi les propositions de collaboration qui me sont faites, entre rédaction d’articles de recherche, d’articles essayistiques plus libres et de fictions brèves. Je ne trace pas de ligne de démarcation nette entre recherche et écriture littéraire, puisque j’essaye de donner à certains articles de recherche une forme peut-être plus séduisante, moins attendue, que celle à laquelle le système institutionnel dans lequel nous sommes pris nous porte spontanément. La tonalité dépend aussi des lieux de publication : j’ai ainsi écrit un texte pour le volume Devenirs du roman II chez Inculte (2014) sur les « matériaux du roman » qui était peut-être l’un des plus académiques proposés. Et à l’inverse, une revue comme Esprit, plus proche de la recherche en sciences humaines, m’a proposé cet automne d’écrire une nouvelle pour un numéro sur les représentations du chômage. J’apprécie ces croisements et ces changements de rôle.
Dans tous les cas, la seule manière de mener de front recherche et littérature est de travailler sur des thèmes qui se recoupent. Je prépare en ce moment un deuxième roman qui parle du monde de l’entreprise et donne à voir certaines des évolutions du capitalisme néolibéral depuis 1980. Parce que la préparation de ce roman m’a fait passer par un grand nombre de lectures de littérature et de sciences humaines, j’en ai aussi fait depuis l’année dernière un champ de recherche et d’enseignement.