Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Atelier de recherche en création littéraire
2 mai 2016

Lopinons encore, lopinons ensemble !

Marie Joqueviel-Bourjea (Université Paul-Valéry Montpellier 3)

 

 

Lopinons encore, lopinons ensemble !

(en dialogue avec le texte de Jean-Marc Quaranta, « Penser la recherche en création littéraire » ;

concernant le titre, se reporter à ma contribution précédente !)

 

Je redirai tout d’abord (je l’avais dit une première fois en avril 2014, lors du colloque organisé par l’université d’Aix-Marseille qui fêtait les 20 ans de son DU, puis en février dernier lors de notre premier « atelier de recherche » à Marseille) à quel point je suis heureuse que nous nous retrouvions – universitaires, écrivains, artistes, traducteurs, éditeurs…, bref, tous autant que nous sommes diversement passeurs et créateurs d’art et de langue –, de plus en plus régulièrement et avec une visibilité institutionnelle accrue, pour débattre de création et de recherche, et par là même interroger, aux côtés des étudiants, nos pratiques d’écriture au sein des établissements d’enseignement supérieur dans lesquels nous intervenons à plus d’un titre.

Heureuse, parce qu’il me semble qu’une communauté voit le jour qui se reconnaît et s’organise (JM remarque à juste titre que notre premier atelier de recherche a révélé, en dépit de nos différences, « une profonde solidarité »), en se donnant les moyens de réfléchir à ce qu’elle porte et à ce qui la porte. Communauté simultanément hétérogène et cohérente, issue d’horizons géographiques, professionnels, institutionnels et artistiques divers, mais – il me semble – habitée par de semblables utopies [la dimension utopique de l’atelier d’écriture étant à mes yeux essentielle, qu’il faudrait interroger à différents niveaux]. C’est peut-être ce type de communauté tout sauf désœuvrée qui est susceptible de relayer autrement une institution littéraire dont, Jean-Marc le remarque à la suite de Dominique Maingueneau (Contre Saint-Proust, la fin de la littérature, 2006), « on a le sentiment de vivre la fin » – les ambitions d’une telle communauté se révélant (de mon point de vue) simultanément artistiques et théoriques, sociales et politiques, pratiques et existentielles. Elles débordent en ce sens très largement le cadre universitaire, auquel [c’est l’une de mes utopies] elles ré-apprennent en bien des façons le monde.

Heureuse parce qu’il était temps : temps de réfléchir à des pratiques déjà anciennes, à des traversées accumulées, des expériences de qualité qui ne demandent qu’à être pensées, poursuivies, prolongées, relayées, voire – dans une certaine mesure – théorisées ; et temps d’y réfléchir ensemble, dans le décloisonnement de pratiques souvent isolées au sein de l’institution, institution avec laquelle elles se trouvent fréquemment en porte-à-faux [c’est du reste une de mes questions : faut-il chercher à tout prix à éradiquer le porte-à-faux, en institutionnalisant (je risque le néologisme : en ‘’maquettisant’’) nos pratiques au risque de les scléroser, et surtout d’en pervertir l’esprit ; ou au contraire se maintenir dans la marge – au sens où l’on maintiendrait la marge comme l’on maintient un cap, de façon à se garder, précisément, une marge de manœuvre… ? L’équilibre est évidemment à trouver entre les deux : la reconnaissance institutionnelle et la liberté laissée à l’espace de création.]

 

– Je répondrai à la première question posée par Jean-Marc et Marie-Laure en vue de cet échange, « Qui sommes-nous ? », par le détour du « nous » (question que je détourne ainsi en : qui est « nous » ?) – pour avoir déjà doublement répondu au « qui suis-je ? » dans les actes du colloque d’Aix publiés en ligne : http://duecriture.canalblog.com/archives/2014/07/15/30249073.html, puis, d’un autre bord de l’écriture, sur le blog qui a accompagné notre premier atelier de recherche : http://atelierrecherche.canalblog.com/archives/2015/02/27/31612249.html.

 

Le « nous » me retient en effet, en tant qu’il accueille le « je » au sein du collectif, c’est-à-dire en tant qu’il ne dissout pas la singularité mais la démultiplie et l’accompagne. C’est pourquoi j’aime assez les « familles » proposées par JM, le jeu des 7 dont on sent qu’elles débordent leur chiffre, sur lesquelles on pourrait chipoter à l’infini mais là n’est pas l’essentiel. L’essentiel ? Le collectif, son idée. Non des individus isolés mais des familles, engendrant lignées légitimes ou bâtardes, familles que l’on ne saurait haïr puisque nous les avons choisies (ou l’inverse : ce sont elles qui nous nous ont élus), familles éclatées, recomposées, rhizomées – en un mot : vivantes. Familles que l’on se sent en droit de quitter pour aller voir ailleurs. Familles dont on porte, au moins momentanément, le nom, auxquelles l’on sait cependant ne pas devoir appartenir…

La « mienne » famille, justement, telle que décrite par JM, je m’y reconnais en partie (ce qui est le propre de tout rapport familial : oui, mais…). Néanmoins, ce qui me paraît insuffisamment souligné dans sa description, c’est le fait que je ne suis pas seule. En l’occurrence, le DU de Montpellier (dont je suis, certes, la responsable pédagogique et la seule personne qui le porte au sein de l’institution) est pensé par un collectif de personnalités différentes, elles-mêmes issues d’espaces distincts : ainsi, sur les cinq personnes qui composent le comité de pilotage, suis-je la seule universitaire… Deux sont écrivains, une est formatrice en travail social, et la quatrième directrice d’une association issue d’un mouvement d’éducation populaire, La Boutique d’écriture (qui a été créée à l’initiative de deux écrivains, François Bon et Hervé Piékarski). Outre les membres du comité, le DU fait intervenir des écrivains et des professionnels au même titre que des universitaires de disciplines différentes. Fortement « littéraire » au sens où il cherche à pratiquer et d’un même geste à penser la littérature, il ne la réfléchit pas moins en étant mu par une ambition sociale et politique. Je suis donc un membre (un seul) d’une famille, dont j’apprécie d’autant plus la dynamique que les individus qui la composent ne sont, pour une grande majorité, pas issus du monde académique auquel j’appartiens moi-même. Je suis donc nous. À ce titre il m’est difficile de dire « je » au nom d’une « famille » qui, réciproquement, ne se reconnaîtrait pas forcément en « moi »…

Je précise aussi, tempérant en cela le constat de JM concernant la difficile insertion des ateliers d’écriture dans des formations plus académiques – constat qui se faisait le relais de mon propre pessimisme ! : je suis aujourd’hui convaincue que les lignes bougent à l’université : hier, y animer un atelier d’écriture était chose suspecte quand elle n’était pas ignorée ; aujourd’hui, on vient « nous » chercher, « nous » enseignants-chercheurs et/ou écrivains qui animons depuis des années plus ou moins en contrebande ; des « pratiques d’écriture » sont officiellement incluses dans les maquettes (c’est le cas à Montpellier pour un parcours de Licence « Métiers de la Culture et de l’Écriture » dans lequel j’interviens depuis sa création, il y a deux ans) ; certains collègues demandent à des écrivains invités dans le cadre de colloques ou de journées d’étude d’animer des ateliers d’écriture (c’est le cas à l’UM3 depuis trois ans dans le cadre d’un programme ouvert en 2012, « La littérature à l’heure du numérique », qui a initié un cycle de rencontres intitulé « L’auteur en régime numérique » – cela étant en rapport direct avec l’ouverture concomitante d’un Master « Métiers du Livre et de l’Édition »). Or, évoquer ces pratiques d’écriture qui ne relèvent pas du DU, qu’elles soient conduites par des enseignants-chercheurs ou des écrivains, c’est aussi façon d’élargir la « famille DU » à d’autres expériences, d’autres publics de l’université (auprès desquels j’interviens quant à moi depuis plus longtemps que dans le Diplôme).

Le « nous », c’est donc la communauté des acteurs (de l’éducation, de la recherche, de l’édition, de l’art, de la culture) que nous représentons à ce colloque, communauté mouvante en laquelle je me reconnais parce qu’elle articule de multiples façons deux attachements essentiels qui informent ma propre existence : la recherche et la création littéraire. Puisqu’il s’agit de réagir au texte de JM, je me permets de « nous » prendre en exemple : ses recherches portent sur Proust, sur la génétique des textes ; les miennes s’intéressent essentiellement à la création contemporaine, plus particulièrement à la poésie. Or ce que l’un et l’autre nous initions dans nos pratiques d’écriture à l’université est nécessairement redevable (au moins en partie) de nos travaux de recherche, de la façon dont ils reçoivent et pensent la création, la littérature. Ainsi ces pratiques d’écriture nous permettent-elles de croiser, comme de biais mais de façon peut-être plus profonde, plus active que ne le ferait une communication à un colloque de spécialistes, les enjeux mêmes de nos recherches respectives. Aussi un spécialiste de Proust et une spécialiste de poésie contemporaine sont-ils conduits à se rencontrer dans la réflexion que mettent en œuvre les pratiques d’écriture qu’ils conduisent chacun à sa façon, chacun dans des contextes différents – alors même que les circuits traditionnels de la recherche institutionnelle ne les auraient pas forcément fait se croiser.

 

– De quoi parlons-nous ? (c’est la deuxième question posée par JM et ML)

 

D’une chose mouvante, difficile à appréhender car elle articule des pratiques d’écriture créative à la recherche, et ce de multiples façons. En ce sens, il importe de souligner – quoique ce soit une évidence – que le dispositif « atelier d’écriture » n’est pas le seul espace où se rencontrent à l’université création littéraire et recherche : nous concerne tout autant (une partie des réflexions conduites dans le cadre du colloque en témoignent : celles de Marie-Laure et Jean-Marc, notamment) la possible articulation entre les travaux de recherche de type académique et l’écriture dite de « création » (mémoire de master et doctorat pour les étudiants ; HDR ou tout autre travail critique pour les enseignants-chercheurs) : je souscris en ce sens pleinement aux propos de Violaine (Houdart-Mérot) qui réagissent au texte de JM : « [N]ous refusons les clivages habituels entre écriture créative et professionnelle. Mon souhait est aussi de réhabiliter le genre de l’essai et d’aller contre les oppositions ou clivages entre écriture créative et écriture ‘’académique’’ ». Je constate pour ma part que les étudiants et les enseignants-chercheurs attendent une reconnaissance de l’écriture « créative » au sein de leurs travaux de recherche : des étudiants me demandent chaque année s’ils peuvent intégrer une dimension créative à leur mémoire, voire même proposent un travail de création en lieu et place du mémoire traditionnel ; nombreux sont par ailleurs les enseignants-chercheurs qui revendiquent le droit à ce que des écritures non « académiques », « de création », puissent être reconnues au titre de leur production universitaire ; sans compter les collègues qui attendent la retraite pour se lancer sans plus de retenue dans une écriture de création / ou qui tout simplement s’autorisent enfin à penser leur écriture critique comme une écriture créative…

Pour clarifier les choses concernant notre projet, il me semble que l’on pourrait balayer le spectre des objets qui nous retiennent en fonction des acteurs engagés dans l’aventure (ces catégories n’étant évidemment pas étanches) : les enseignants-chercheurs ; les étudiants ; les écrivains et artistes invités dans un cadre ponctuel ou pérenne. Où et comment se nouent recherche et création pour un étudiant ; pour un enseignant-chercheur ; pour un intervenant extérieur à l’université ? En quoi une écriture de création participe-t-elle de la recherche et participe-t-elle à la recherche ? En quoi la recherche est-elle création ? Mais encore : quels sont les enjeux (individuels et collectifs ; personnels et institutionnels ; concrets et symboliques) d’un tel nouage ?

 

*

Publicité
Publicité
Commentaires
Atelier de recherche en création littéraire
  • Blog de l'atelier de recherche en création littéraire de l'UFR ALLSH de l'université d'Aix-Marseille. Son but est de permettre les échanges entre les participants en amont de le rencontre des 5 et 6 février 2015 et de les poursuivre ensuite.
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Archives
Publicité