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Atelier de recherche en création littéraire
28 janvier 2015

Les outils de la recherche sont-ils adaptés au champ de l’écriture créative ? Anne-Marie Petitjean

  • N’expliquez pas, faites !

C’est le grand mot d’ordre des writer-teachers états-uniens qui placent la praxis, dont nous parle Carole Bisenius-Penin, dans la perspective amplement commentée de la philosophie pragmatique, qui sert donc de base clairement identifiée pour la perspective universitaire américaine(studies, merci Jean-Marc Quaranta). L’affaire n’est sans doute pas aussi simple en France où la fabrique est suspecte, volontiers associée à la culture du négoce, et où l’ambition humboldtienne de l’université moderne est entendue de manière restrictive comme production de raison raisonnante et de corps de savoirs dissociés d’enjeux génératifs et professionnels immédiats. Comment réfléchir dès lors à la place de la création par rapport à la recherche sans poser sur la table les outils habituels qui légitiment la mission scientifique des universités ? Le modèle du partenariat artistique encadré par le Ministère de la culture et les Maisons de la poésie sera toujours plus légitime que les formations encadrées par des enseignants et des enseignants-chercheurs, tant que la recherche n’aura pas entendue l’intérêt scientifique de la démarche créative. Et vous avez sans doute affronté comme moi la représentation de l’atelier d’écriture comme d’un « gadget culturel » pour compléter une maquette et satisfaire le caprice d’un recteur ou d’un directeur de département … Le colloque dirigé par Violaine Houdart-Merot, qui se tiendra en décembre 2015 à l’université de Cergy-Pontoise, reviendra amplement sur ce rapport possible entre recherche et création, en faisant intervenir les Canadiens, et les partenaires des écoles d’art qui ont placé l’écriture parmi leurs secteurs d’expertise pratique. Mais qu’en est-il des outils de la recherche en littérature, en linguistique, en didactique ? Est-il possible de les mobiliser au bénéfice de l’émergence d’un champ de recherche spécifique, qui invite la tradition francophone des ateliers d’écriture à franchir à visage découvert le cap du 3ème cycle universitaire ?

 

  • Faut-il accepter l’apport théorique exogène ?

Pour répondre directement à la sollicitation de Jean-Marc Quaranta sur « l’articulation linguistique » et alimenter le 3ème axe de ce séminaire, j’aimerais proposer d’interroger le statut de la langue dans l’approche créative, en mobilisant des notions issues des sciences du langage. « Je me souviens » des 20 ans du D.U. d’Aix et  de la manière dont la notion de « répertoire langagier » était mobilisée par Marie-Laure Schultz pour la conception et l’analyse d’un « atelier plurilingue » (voir également sa contribution et celle de Noëlle Mathis dans les lettres du Réseau des Pratiques d’écriture créative à l’université : http://www.u-cergy.fr/fr/laboratoires/labo-crtf/reseau-pratiques-d-ecriture-a-l-universite/espace-documents.html). Ma fréquentation récente des chercheurs du laboratoire DYSOLA, de l’université de Rouen, un laboratoire de linguistique, de sociolinguistique et de didactique, m’invite à penser que des notions comme celles de variation linguistique, de relation à la norme, de paratopie littéraire ne sont pas inutiles pour réfléchir des pratiques en parfaite adéquation avec des enjeux de recherche. Elles permettent de comprendre pourquoi la perspective jakobsonienne de fonction poétique du langage (par projection de l’axe des substitutions sur l’axe des combinaisons ; cf. Oriol-Boyer, 2013 ou Maingueneau, 2000[1]) n’est plus suffisante pour se faire entendre par les linguistes contemporains. Elles permettent également de décrire finement et de concevoir sans doute plus adroitement la place qu’une formation en création littéraire ou en écriture créative assigne à un étudiant par rapport au matériau premier qu’est la langue.

Pour le dire rapidement, on sait d’expérience que l’étudiant est amené à mobiliser une représentation de la norme linguistique, toujours plus ou moins fluctuante, mais qui engage au moins deux perspectives qui vont rapidement entrer en conflit : la première relève de la prescription, scolaire ou académique, qui l’invite à rejeter des formulations incorrectes, au nom d’une correction épistémique, la deuxième se nourrit de ses expériences de lectures et du choix qu’il aura exercé entre les créateurs qui lui apparaissent les plus intéressants pour déterminer un usage littéraire de la langue. La première représentation recherche un usage lisse, sans écueil orthographique ou syntaxique, la deuxième représentation cherche au contraire à accrocher l’œil ou l’oreille et abhorre la platitude. La perspective est dialectique et délibérément heuristique sur la distinction de critères de littérarité, mais plus largement sur la distinction d’une variation déterminant une construction identitaire qui se bâtit au fil d’une formation et qui amène à envisager la langue comme un mode d’être au monde et non de simplement parler le monde. Autrement dit, la spécificité de l’approche créative apporte son lot de nuances propres à modifier des concepts venus d’ailleurs, en l’occurrence celui de rapport à la norme et encore de sociolecte, et se trouve tout à fait armée pour proposer une perspective scientifique endogène.

 

C’est sans doute la meilleure façon pour les chercheurs convaincus par l’approche créative de retrouver le mot d’ordre initial : n’expliquez pas votre démarche scientifique, faites !

 

 

AMarie Petitjean

Université de Rouen,

laboratoire DYSOLA (Dynamiques sociales et langagières)



[1] Claudette Oriol-Boyer, « Le texte littéraire comme théâtralisation de mécanismes langagiers », in Pratiques d’écriture littéraire à l’université, V. Houdart-Merot et C. Mongenot (dir ;), Champion, 2013 ; Dominique Maingueneau, « Linguistique et littérature : le tournant discursif », paru dans Prospettive della francesistica nel nuovo assetto della didattica universitaria, Gabriella Fabbricino éd., Società Unversitaria per gli Studi di Lingua et Letteratura Francese, Atti del Convegno Internazionale di Napoli-Pozzuoli, 2000, p. 25-38 [En ligne : http://www.vox-poetica.org/t/articles/maingueneau.html].

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  • Blog de l'atelier de recherche en création littéraire de l'UFR ALLSH de l'université d'Aix-Marseille. Son but est de permettre les échanges entre les participants en amont de le rencontre des 5 et 6 février 2015 et de les poursuivre ensuite.
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