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Atelier de recherche en création littéraire
3 février 2015

Textes écrits pour le lancement du master de création littéraire de l’Université Paris 8 Saint-Denis, Vincent Message

Vincent Message

 

Textes écrits pour le lancement du master de création littéraire

de l’Université Paris 8 Saint-Denis

 

 

Romantisme (Trêve de –)

 

Ça a débuté comme ça. Nous étions quelques-uns assis à une terrasse quand nous voyons soudain passer tout un tas de gens qui étaient en train de parler de la littérature. Ils se plaignaient de ne jamais en avoir de nouvelles. Qu’elle se tenait toujours sur sa réserve, un peu hautaine, dans les nuages. Elle leur semblait à la fois majestueuse et marginale – inaccessible de tellement de manières qu’ils n’osaient pas s’en approcher. On s’est regardés un moment. Et puis on s’est permis de se mêler de leur conversation. Parce que nous avions vraiment l’impression qu’ils ne parlaient pas de la personne que, nous, nous connaissions. On leur a dit : « Mais elle n’est pas du tout comme ça en fait. » On leur a dit : « C’est terrible que vous pensiez ça. C’est mal la connaître. Evidemment que ce n’est pas quelqu’un de tout simple, c’est quelqu’un de tourmenté, d’un peu tortueux, mais de très humain en fait. C’est juste qu’elle est paumée. Qu’elle ne sait pas toujours où est sa place. Qu’elle a le sentiment, parfois, d’être assise le cul entre deux chaises. »

Car la littérature aussi a ses faiblesses. Et en particulier : elle n’est pas insensible au qu’en dira-t-on. Aux réputations qu’on lui fait. Cela la préoccupe, par exemple, que certains la considèrent comme un art – mais, bizarrement, pas un art comme les autres, et d’autres comme une science humaine – mais pas une science humaine comme les autres. Elle remue ça dans sa tête. Les autres arts, pense-t-elle, la peinture, le théâtre, la danse, l’architecture, le cinéma, ils ont tous leurs écoles. Si je suis vraiment un art, pourquoi est-ce que je n’ai pas moi aussi mes écoles ? Pourquoi est-ce qu’on laisse ceux et celles qui sont assez courageux pour m’aimer comme je suis et sans me demander grand-chose en retour seuls dans leurs appartements exigus ? Et si je suis plutôt une science humaine, de celles qu’on enseigne à l’université, pourquoi est-ce que m’étudier consiste seulement à me commenter, à écrire de la théorie, alors qu’étudier la philosophie ou la sociologie, c’est apprendre ce qu’elles sont aujourd’hui, mais aussi créer celles qu’on lira demain ?

C’est meurtrie par cette situation fausse que la littérature écrivait récemment, sur son compte Twitter, cette phrase énigmatique : « Il est temps de cesser de penser nuageux. » Nous l’avons contactée, pour en savoir plus, et visiblement désireuse de sortir de son isolement, elle a répondu avec beaucoup de bonne volonté à nos questions. Ce qu’on a retenu de ces échanges, c’est peut-être d’abord qu’écrire s’apprend, que cela n’est pas donné, que cela se travaille. Tout le monde le sait au fond mais c’est plus convaincant quand c’est elle qui le dit. Et puis aussi – et ça elle le réaffirmait de façon tout à fait explicite dans un tweet ultérieur – qu’écrire ne s’apprend pas seul, puisqu’écrire c’est habiter la langue, et que la langue nous vient des autres. Les choses ont suivi leur cours comme ça un petit moment. Puis il est arrivé ce qui devait arriver. Cent-quarante caractères ne lui suffisaient pas. Elle a ouvert un blog. Elle a posté plusieurs articles d’affilée. Elle disait vouloir percer de coups d’épingle ces questions pour en faire surgir de plus consistantes. Elle se demandait, par exemple, si ces autres en compagnie desquels on se lance dans l’écriture doivent être uniquement des personnes dont on lit les mots dans les livres, des absents, des morts de préférence, ou si ça peut être également des personnes de chair et d’os, avec qui on partage un peu de temps et de parole.

Elle s’est mise à raconter des choses passionnantes, d’abord, sur ces compagnonnages qui se nouent à distance. Sur ce que Proust doit à Flaubert et Flaubert à Balzac. Que Günter Grass lisait Rabelais en écrivant Le Tambour, et Salman Rushdie Le Tambour en écrivant les Enfants de Minuit. Et puis elle parlait avec tendresse des rencontres qui n’ont pas lieu par livres interposés, mais en personne. Verlaine qui dézingue Rimbaud. Proust et Joyce qui n’ont rien à se dire. Mario Vargas Llosa collant un œil au beurre noir à Gabriel Garcia Marquez. Elle regrettait simplement que la pensée nuageuse entoure ces faits d’une aura qui de nouveau les éloigne et les fait paraître hors de portée.

Et nous qui la lisions, nous qui l’écoutions, nous nous sommes mis à notre tour à nous demander pourquoi ces compagnonnages, qui sont mythifiés tant qu’ils ont lieu dans des cafés et des salons, devaient nécessairement devenir un peu gêné, un peu honteux lorsque leur cadre est celui d’écoles ou d’universités. On avait pourtant l’impression en regardant autour de nous que les salles de cours étaient suffisamment délabrées et d’une pauvreté assez éclatante pour avoir le droit elles aussi d’être considérées comme des lieux de la bohème. Mais pour les adeptes de la pensée nuageuse, il semble que la seule école qui vaille soit buissonnière, et que les seuls cours qui puissent prétendre figurer dans la biographie d’un artiste sont ceux qu’il a séchés pour griller des clopes quelque part, à l’autre bout de la ville.

La pensée nuageuse nous dit que la littérature est rebelle ou n’est pas. Elle nous dit que la littérature ne peut se jouer que contre l’ordre établi et la tradition, donc contre l’université. Mais nous avons commencé à nous demander si les choses étaient aussi simples - s’il ne fallait pas aujourd’hui démêler les nuages. Nous avons commencé à nous demander si les universités ne sont pas elles aussi des foyers de résistance, où l’économie ne règne pas sans partage, et qui sont de bien des manières plus soustraits que le loyer des chambres de bonnes et le cours de la pinte de bière aux lois bienveillantes du marché. Nous nous sommes dit qu’elles pouvaient être l’un des lieux d’une littérature qui assume la chair et les os. Que nous allions ouvrir grand les portes des universités à la littérature à travers ceux qui l’incarnent. Qu’aux mots qu’ont écrit les absents, nous allions ajouter la voix des présents, parce que nous savons qu’elle ne les annulera pas et ne viendra pas les recouvrir, mais leur fera écho et leur donnera plus de chaleur.

 

Atelier

 

On ne sait pas ce qui s’y passera. Il s’y passera – on l’espère très fort et on en est à peu près sûrs – plein de choses dont on n’a pas idée. L’atelier c’est un espace-temps. Il est précieux parce qu’il est collectif. Mettre l’atelier au centre de la formation, cela ne veut pas dire que la création aura forcément lieu dans cet espace-temps là. C’est long, le temps de la création, ça ne se programme pas, et pour beaucoup ça réclame sans doute pas mal de solitude. Et puis c’est si rare d’être ensemble. Ce serait dommage de se réunir seulement pour que chacun replonge dans son texte, en immersion sous le regard flottant des autres. Les étudiants que nous recrutons n’ont pas besoin de l’atelier pour écrire, parce qu’ils sont déjà écrivains. Ils ont besoin de l’atelier, en revanche, pour remonter de temps à autre à la surface, pour reprendre leur respiration, pour s’occuper un peu des autres et plus seulement d’eux-mêmes. C’est quand la solitude choisie tourne à la solitude subie. C’est quand on n’avance plus – quand on n’y voit plus rien. Les autres alors, les autres sont là pour que le texte que nous leur soumettons se détache doucement de nous, que des regards extérieurs pointent les effets singuliers qu’il produit, et le transforment ainsi en une matière changeante, qui suscite des silences, des adhésions violentes, des désaccords, qui vit et qui demande à continuer à vivre – donc retourne au travail, maintenant.

Pourquoi, dans l’atelier, un enseignant ? Ce qui le distingue n’est pas qu’il serait du côté des élus. Si on dit trêve au romantisme (voir ce mot), il faut admettre qu’il existe un continuum entre les pratiques amateurs et les pratiques professionnelles de la littérature. Pas de différence de nature, mais des différences de degré seulement entre les médiocres écrivains du dimanche et ceux qui continuent de nous bouleverser des siècles après leur mort. Ça démythifie de s’avouer cela, mais cela rassure aussi. Cela les rapproche de nous, les Faulkner, les Tolstoï. Voir dans leurs œuvres le produit du travail et de la chance plutôt que celui du génie les rend plus émouvantes. L’enseignant, alors, ne se distingue que par une expérience un peu plus ancienne de la création, et par le rôle qu’on lui confie. Il est là pour créer les conditions de ce combat de chacun contre lui-même et de cette recherche de solutions éminemment individuelles à des problèmes communs.

Ce qu’offre l’atelier, c’est donc d’abord cela : un premier cercle de lecteurs attentifs, pas trop incompétents, pas trop mal informés. Il n’y a en effet pas de raison que les écrivains qui débutent connaissent, pour seuls retours critiques, les lettres types de refus envoyées par les maisons d’édition, ou les remarques embarrassées de quelques amis ou des rares professionnels du métier qu’ils ont réussi, dans une librairie, dans un salon du livre, à coincer entre trois paquets de chips et deux cubis de vin rouge. Enseigner la création littéraire à l’université, dans notre esprit, c’est permettre à des écrivains qui débutent de prendre leur création au sérieux, d’y consacrer du temps pendant quelques années. C’est permettre à ceux qui le souhaitent d’échapper à cette situation où écrire est vu comme une lubie, une vocation sans débouchés ou le signe d’un orgueil maladif. À l’université, « écrivain » a longtemps été un mot qui semblait devoir être réservé à Kafka et à Joyce, comme s’il était nécessaire de se hisser d’abord à leur hauteur pour prétendre à ce titre. Dans l’atelier, on se répétera que se donner le droit d’y prétendre est la seule manière de s’élever, même si ce n’est pas pour atteindre ce genre de hauteurs-là. On discutera ; on se déchirera ; on s’efforcera d’échouer mieux.

 

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  • Blog de l'atelier de recherche en création littéraire de l'UFR ALLSH de l'université d'Aix-Marseille. Son but est de permettre les échanges entre les participants en amont de le rencontre des 5 et 6 février 2015 et de les poursuivre ensuite.
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