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Atelier de recherche en création littéraire
3 février 2015

Marie-Laure Schultze, Hétrautoportrait professionnel

PRÉSENTATION DES PARTICIPANTS : HÉTÉRAUTOPORTRAIT PROFESSIONNEL

 

 

APPEL :

 

Montaigne écrivait : « Nous sommes tous (faits) de lopins et d'une contexture si informe et diverse, que chaque pièce, chaque moment fait son jeu. (Il) se trouve autant de différence de nous à nous-mêmes, que de nous à autrui »[1].

S'il vous semble pouvoir dire, je suis une bande de jeunes à moi tout seul, comme le chantait Renaud, ou une bande de moins jeunes, cette consigne est faite pour vous : vous écrirez un hétérautoportrait professionnel pour explorer une (ou plusieurs) facettes de votre métier complexe – au sens de : composé d'éléments qui entretiennent des rapports nombreux, diversifiés, difficiles à saisir par l'esprit, et présentant souvent des aspects différents[2].

Cet hétérautoportrait pourra être biographique, terme que j'entends comme mise en texte d'événements, faits, souvenirs... que vous estimez avérés. Il pourra être fictionnel – parce que vous savez votre mémoire sélective et inventive, les zones d'ombre nombreuses, qu'un même événement est vécu différemment par les personnes présentes, sujet à des ré-interprétations etc.

Vous trouverez le texte-source dont est issu le présent Appel en page 2 du document. Sa lecture est optionnelle. Après l'avoir écrit en vue de notre Atelier, j'en ai extrait les phrases d'amorce à utiliser éventuellement pour votre incipit, le choix de celui-ci demeurant évidemment libre.

 

 

Quand j'anime (ou) cherche (ou) écris (ou) enseigne.

 

Il m'arrive de me sentir comme ...

TEXTE-SOURCE

 

Hétérautoportrait d'une animatrice-chercheuse-écrivaine-enseignante (ACÉE) – vision[3] 1.

 

Quand j'anime.

 

Il m'arrive de me sentir comme dans une cage en verre blanc.

 

Un carré ou un rectangle. Posé dans le coin d'une bibliothèque municipale. La paroi à ma droite est parallèle à un mur de la bibliothèque, rayonnages couverts de livres du sol au plafond. On peut circuler entre le mur de verre et les livres, y passe la largeur d'un homme.

Derrière, une étagère à hauteur de torse, quatre ou cinq étages, des livres de chaque côté ; ce coin est réservé aux livres pour enfants. On en entend qui rient, farfouillent, galopent pieds-nus ; une petite pleure dans une poussette, aussi.

Volontairement, le public me trouve dans la cage en verre, ne m'a pas vu entrer. Il est assez nombreux, souriant, détendu ; certains tiennent un dépliant de présentation de l'atelier tendu par les bibliothécaires derrière leur bureau. D'autres, des carnets et stylos.

Je suis un homme mince, presque maigre, voûté, les cheveux dans les yeux. Je ne regarde pas les participants qui se tiennent en désordre près de la cage en verre. (They're eager) . Un jean, une chemise pâle, pieds nus – j'ai demandé un carré de moquette épaisse en guise de fond pour mon bocal il m'a été accordé. Je n'ai pas peur, c'est juste une mise en scène, ces gens qui se pressent vers la gauche ; les autres, devant, je ne les vois pas, de dessous ma frange. J'ai juste saisi d'un coup d'oeil une bibliothécaire circulant dans le groupe pour distribuer des crayons à ceux qui n'en avaient pas. Ceux munis de carnets arrachent des feuilles pour les offrir aux voisins, sur la suggestion de la bibliothécaire aux crayons.

La Bibliothécaire-Aux-Crayons. Mentalement je me saisis d'elle, je fonds, affamé, vorace, impitoyable, serres en avant : elle m'évoque je ne sais quelle figure de conte et c'est de cette association fugitive que je sors ma première consigne.

Je la griffonne sur un post-it et la colle sur la paroi de verre. Succincte, lapidaire.

Les gens se haussent sur la pointe des pieds, se poussent, un peu, mais quand même.

Alors je prends le bloc de post-it à pleines mains et je reproduis la consigne en plus gros, et en lettres bâton, et j'en colle un peu partout.

Ça m'a excité, je sors de ma torpeur de rock star dégingandé et hâve qui se laisse observer sur l'avant de la scène, on ne m'arrête plus, je colle feuille après feuille, de toutes les couleurs, sur les parois, frénétique.

Dans le public, certains rient, d'autres ont le front plissé de concentration.

Comme des enfants.

Je suis accro à l'enfance.

C'est mignon, les enfants, dommage qu'il faille que ça grandisse. C'est comme pour les chiots.

Moi je ne grandis pas. Je suis déchaîné. Ces petits papiers de toutes les couleurs qui tiennent tout seuls sur les parois de verre, ça a une magie d'enfance.

Décalcomanies ; gommettes...

 

Une des bibliothécaires, il me semble qu'elle m'a jeté un regard un peu sévère. Contrit, je me reprends.

D'ailleurs, certains participants ont les yeux levés vers moi, comme de bons chiens qui attendent la promenade. J'ouvre mon cahier sur le bureau. je choisis une nouvelle consigne, brune, épaisse, odorante, elle va s'émietter entre leurs doigts, grasse et fertile, et déjà certains picorent les insectes qui s'en échappent, ils voudraient les manger mais il y a cette bibliothécaire qui tourne autour du groupe en jetant un œil à ce que chacun écrit, alors ils n'osent pas, ils n'osent pas fourrer les insectes appétissants dans leur bouche, ils les collent à leur papier, avec le soin d'entomologistes.

Et voilà que ça fait des phrases, les bestioles collées.

Beaucoup s'émerveillent, ces phrases se jettent dans leurs yeux éblouis en étoiles. Ils ont eu leur content, j'ai relevé la tête et je croise leurs regards, merci ça murmure, ils s'en vont, j'espère que chez eux ils s'assoiront et caresseront leur papier avec des crayons de couleurs, le front plissé de concentration, langue sortie.

 

Mais il y a les autres, qui restent, debout, déçus, ils hésitent, ils feraient bien une boule de leur papier, hop dans la corbeille, raté, tombe à côté, même ça je n'en suis pas capable ! Vont-ils oser, devant moi, alors que j'attends, à les regarder ? Non, ce sont des gens policés, on est dans une petite bibliothèque, ce n'est pas n'importe qui qui vient à un atelier de bibliothèque un samedi après-midi. Moi, je sens leur déception comme de l'eau, j'en ai déjà à la taille.

Il y en a qui partent, tête basse, épaules rentrées, ça fait une détonation dans ma tête, pour chacun une balle.

 

Les autres s'attardent. Un, deux. Trois, quatre, cinq, six. Sept.

La matrone a disparu, pfuit, comme par enchantement, l'espace est dégagé, il s'ouvre derrière les sept participants, je ne vois plus qu'eux, ils se tiendraient sur une plage vaste et vide que je ne les verrais pas mieux.

J'écoute le ressac ; ils sont patients. J'ai envie de me coller contre la paroi de verre, bras écartés et de leur faire deviner la consigne en gesticulant de la bouche, lèvres écrasées, deux limaces bavant des runes.

Alors je recule mon bureau, rapproche ma chaise dans le coin dégagé en leur faisant signe de s'approcher pour qu'ils aient tous la place, comme s'ils se penchaient par-dessus mon épaule, je suis assis alors ils doivent voir le haut plat de mon crâne, je prends un feutre noir à la mine épaisse et j'écris, en larges lettres bâton : QUI ÊTES-VOUS !?

Et je me recule rapidement comme si le papier me brûlait les mains, ou allait s'enflammer, et eux ils lisent la question.

Et ils acquiescent en opinant, et l'un après l'autre ils me tendent la main et font mine de serrer la mienne, et un petit hochement de tête, et ils s'en vont.

Dans un coin de la cage, je ne l'avais pas vu jusque-là, il y a un enfant bouche bée contre la vitre, un petit poisson, il n'a guère plus de six ans. Alors je souris, je sors deux bonbons d'un tiroir de mon bureau et on va les manger sur les gros coussins au milieu des albums, proprement, sans essuyer le sucre sur les coussins.



[1]Essais 2.1, p.22, Folio n°290.

[2]http://www.cnrtl.fr/definition/complexe

[3]Vision, rêverie, exploration d'associations... on choisira le terme qu'on préfère. Rêverie peut-être en référence à Bachelard, association à Freud ; vision comme rêve les yeux ouverts, où la scène se construit peu à peu, un coin exploré après l'autre, arpentée.

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Atelier de recherche en création littéraire
  • Blog de l'atelier de recherche en création littéraire de l'UFR ALLSH de l'université d'Aix-Marseille. Son but est de permettre les échanges entre les participants en amont de le rencontre des 5 et 6 février 2015 et de les poursuivre ensuite.
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